Avis n°16

du 21 mars 2011
De l’engagement moral et de la parole donnée par le médecin traitant

Une patiente saisit le comité parce qu’elle est confrontée à une difficulté avec son médecin traitant. Après le diagnostic de son cancer, cette patiente a demandé à ce médecin généraliste s’il accepterait d’être son médecin référent pendant la durée de son traitement. Elle lui a également demandé s’il se déplacerait à son domicile en cas de besoin. Il a répondu par l’affirmative dans les deux cas. Depuis, les rares fois où elle a téléphoné pour une visite à domicile, principalement pour des problèmes liés à des effets indésirables, c’est un médecin stagiaire du cabinet de son médecin qui s’est déplacé. De surcroît, cette patiente s’est rendu compte au cours d’une consultation au cabinet de son médecin que ce dernier ne connaissait pas son dossier. Insatisfaite, cette patiente recherche un nouveau médecin traitant, mais a déjà essuyé plusieurs refus de médecins généralistes.
La question posée par cette patiente est de savoir s’il est éthique pour un médecin référent d’agir ainsi.


 

En préambule, il convient de rappeler les dispositions actuelles concernant le médecin traitant.
La notion de “médecin traitant” a été introduite par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Cette loi a instauré que, depuis janvier 2005, tous les assurés âgés de plus de 16 ans doivent désigner auprès de leur Caisse d’assurance maladie un médecin traitant de leur choix, en accord avec ce dernier. L’article L. 162-5-3 indique que « le médecin traitant peut être un généraliste ou un spécialiste. Il peut être un médecin hospitalier ». Ce même article précise que la participation forfaitaire acquittée par l’assuré pour chaque acte ou consultation « peut être majorée pour les assurés et les ayants droit n’ayant pas choisi de médecin traitant ou consultant un autre médecin sans prescription de leur médecin traitant ».
Concernant la finalité de ce dispositif, l’article L. 162-5-3 de la loi du 13 août 2004 indique qu’il vise à « favoriser la coordination des soins ». Le Code de la sécurité sociale stipule (article L. 162-5 modifié par la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010) que ce sont les conventions nationales conclues entre les organismes d’assurance maladie et les organisations syndicales représentant les médecins qui précisent « les missions particulières des médecins traitants (…) et les modalités de l’organisation de la coordination des soins ».
La convention médicale (généralistes/spécialistes) du 12 janvier 2005 a donné lieu à l’arrêté du 3 février 2005 « portant approbation de la convention nationale des médecins généralistes et des médecins spécialistes » (paru au Journal officiel n° 35 du 11 février 2005). Cet arrêté indique que les missions du médecin traitant sont : « assurer le premier niveau de recours aux soins ; orienter le patient dans le parcours de soins coordonnés et informer tout médecin correspondant des délais de prise en charge compatibles avec l’état de santé du patient ; assurer les soins de prévention (dépistage, éducation sanitaire, etc.) et contribuer à la promotion de la santé ; contribuer à la protocolisation des soins de longue durée, en concertation avec les autres intervenants ; la rédaction du protocole est faite par le médecin traitant (généraliste ou spécialiste) en liaison ou selon la proposition du ou des médecins correspondants participant à la prise en charge du malade ; favoriser la coordination par la synthèse des informations transmises par les différents intervenants et l’intégration de cette synthèse dans le DMP ; apporter au malade toutes informations lui permettant d’assurer une permanence d’accès aux soins aux heures de fermeture du cabinet. »
Ce même arrêté indique que « pour ses patients atteints d’une affection de longue durée qui l’ont choisi en tant que tel, le médecin traitant conventionné bénéficie d’une rémunération spécifique afin de prendre plus particulièrement en compte le besoin particulier de coordination médicale que nécessite la pathologie concernée. Cette rémunération intègre de plus, au titre de la coordination et du suivi, la rédaction et l’actualisation du protocole de soins en liaison avec le médecin correspondant. » En 2005, cette rémunération était fixée à 40 euros par an et par patient en ALD.

Constats

– Des ambiguïtés persistent dans la perception du statut du contrat liant le médecin et son patient, en particulier au sein de la communauté des médecins généralistes1. Certains considèrent que ce contrat liant le médecin et son patient repose sur un engagement moral envers ce dernier, avec toutes les implications que cela suppose dans la relation avec lui, alors que pour d’autres ce statut est avant tout une obligation – voire une contrainte – administrative vis-à-vis de l’assurance maladie. Dès lors, l’implication du médecin dans son rôle de “médecin traitant” est très variable. Cela peut être une source d’incompréhension de la demande d’un patient, d’autant plus quand ce dernier est atteint d’une maladie grave et de longue durée telle qu’un cancer.
– Même en fin de carrière, un médecin généraliste ne peut se prévaloir d’une compétence suffisante pour assurer la prise en charge de nombre des patients atteints de cancers, y compris parmi les plus fréquents d’entre eux (sein, côlon). De surcroît, les progrès de la recherche conduisent à une évolution constante et parfois rapide des connaissances, difficile à suivre pour un non-spécialiste.
– La plupart des comptes-rendus des équipes hospitalières qui sont transmis à un médecin généraliste concernant un patient atteint d’une affection  grave comportent des informations qui sont, le plus souvent, inutiles au médecin généraliste, voire incompréhensibles. Ces comptes-rendus sont à usage interne pour l’équipe hospitalière, plaçant ainsi généralement le médecin généraliste en situation de difficulté vis-à-vis de son patient et tendant à le culpabiliser en raison du sentiment d’incompétence qu’il peut ressentir. La plupart du temps, ils ne lui sont donc d’aucun secours pour la prise en charge du patient.
– Il convient de noter qu’il existe une certaine perversion dans la rédaction des comptes-rendus d’actes, d’interventions ou de RCP des équipes hospitalières, dont la finalité aujourd’hui vise essentiellement à répondre aux critères exigés par la “tarification à l’activité” avant d’être un outil d’information des différents intervenants de la prise en charge d’un patient. On peut également constater que les médecins hospitaliers ont souvent une connaissance réduite des conditions d’exercice de la médecine de ville, ce qui peut se traduire par des prescriptions inadaptées dont le médecin généraliste devra ensuite assurer le suivi.
– Le système de santé français est d’ores et déjà confronté à une pénurie de médecins généralistes dans certaines régions. On a tout lieu de penser que cette pénurie ne peut que s’aggraver dans les prochaines années. Ainsi, à l’heure actuelle, 60 % des médecins généralistes en exercice ont plus de 55 ans. Par ailleurs, moins de 10 % des étudiants en médecine générale s’installent en ville à la fin de leurs études. Enfin, le nombre de nouveaux étudiants en médecine n’est pas suffisamment et régulièrement revu à la hausse pour combler les départs.
– Cette pénurie de la démographie médicale ainsi que, sans aucun doute, des considérations financières conduisent un certain nombre de médecins généralistes à recevoir chaque jour en consultation un très grand nombre de patients. L’exemple d’un médecin voyant jusqu’à 60 patients par jour a même été cité. Cela n’est pas nécessairement incompatible avec la prise en charge d’affections courantes et banales, mais ne peut être recommandé. A l’évidence, de telles conditions d’exercice ne permettent pas de consacrer le temps nécessaire à un patient atteint d’une pathologie telle qu’un cancer.
– Pour se donner les moyens d’un exercice leur paraissant plus satisfaisant, certains médecins décident de limiter leur nombre de consultations par jour ainsi que le nombre de patients dont ils acceptent d’être le médecin traitant. Cela les conduit à refuser maintes demandes.
– Une dérive évidente du statut de maître de stage a été constatée par certains médecins généralistes. Normalement, le maître de stage accueille des étudiants dans un cadre d’enseignement. Bien que ce soit interdit, des médecins généralistes maîtres de stage organisent des consultations parallèles effectuées par leurs stagiaires à la seule fin de décupler leur clientèle.

Conclusions

À la lumière de ces différents constats, il apparaît que les médecins traitants ne sont pas nécessairement en mesure d’assurer pleinement la prise en charge et le suivi d’une personne atteinte d’une maladie grave comme le cancer. Les conditions d’exercice actuelles au sein du système de santé tel qu’il est organisé de nos jours et les dérives qui en résultent sont en grande partie responsables de cette situation. Pour le groupe de travail, le cœur de la prise en charge par le médecin traitant est sa relation avec son patient. Si cette relation est établie de longue date, si elle est empreinte de confiance et si le médecin traitant est en mesure de faire les choix qui s’imposent afin de consacrer le temps nécessaire à son patient ne serait-ce que pour l’écouter et le conseiller, il lui est alors possible d’exercer pleinement son rôle de médecin traitant à l’égard de personnes atteintes de maladies graves telles que le cancer. Néanmoins, c’est l’ensemble du système de santé, qui ne satisfait manifestement personne en dépit des sommes très importantes qui lui sont consacrées2, qu’il conviendrait de repenser et de réformer.
Au total, le souhait d’un malade atteint d’une affection grave de pouvoir compter sur la disponibilité d’un médecin traitant est compréhensible, le satisfaire serait idéal. Cependant, la réalité de la charge de travail des praticiens et leur nombre rendent trop souvent un tel objectif hors d’atteinte. La responsabilité d’une telle carence ne peut être imputée aux seuls médecins, il s’agit là d’une vraie question de politique de santé.

Notes

  • 1. Selon un bilan établi par la Caisse nationale d’assurance maladie, 99,5 % des Français qui avaient déclaré un médecin traitant fin 2008 (soit 85 % des assurés) avaient choisi un médecin généraliste.
  • 2. Les dépenses de santé représentent en France l’équivalent de 10 % du PIB du pays. On sait que, à partir d’un seuil situé entre 7 et 8 % du PIB, il n’y a aucun rapport entre l’état de santé d’une population et le budget santé qui lui est consacré.