Avis n°18

du 28 février 2011
Refus de consentement aux soins d’une patiente atteinte de troubles psychiatriques

Une patiente âgée de 46 ans, adressée par l’hôpital de Gien pour une tumeur du massif facial (carcinome mucoépidermoïde), présente une pathologie psychiatrique mal étiquetée, ancienne, responsable d’une dégradation sociale majeure et d’une vulnérabilité certaine. Elle requiert un traitement chirurgical lourd, sous peine de l’extension d’une tumeur potentiellement très symptomatique notamment en termes de douleur.
La difficulté posée par cette patiente est son consentement très aléatoire, avec une demande de soins intermittente mais un refus des traitements (tant psychiatriques que carcinologiques). Ce refus est intriqué à ses troubles psychiatriques, en particulier à ses fluctuations d’angoisse avec instabilité et impulsivité ; mais, précisément, ces troubles psychiatriques, dont le caractère curable est loin d’être évident, sont aussi l’élément qui met en péril le succès de l’intervention chirurgicale lourde qu’elle requiert et qui pourrait lui laisser d’importantes séquelles esthétiques et fonctionnelles (qu’elle n’est peut-être pas capable de supporter). Elle semble comprendre les informations données, demande un traitement, surtout quand elle est symptomatique, mais retire son consentement à plusieurs reprises, et notamment le matin même de l’opération prévue.
Cette situation pose la difficile question du consentement aux soins des malades mentaux, alors même que le refus est sans doute lié aux troubles mentaux, mais sans garantie de curabilité de ceux-ci, et avec un risque de catastrophe médicale en cas de mauvaise acceptation d’un traitement lourd chez un patient très vulnérable.
Ce cas soulève un questionnement éthique d’autant plus aigu que le refus de la thérapeutique proposée peut sembler entaché d’un défaut de discernement chez un malade en état de souffrance, dans un état de vulnérabilité particulière. Ce refus peut être aussi perçu comme une mise en cause même du concept de bienfaisance selon un point de vue unilatéral strictement médical.


 

L’histoire de cette patiente, telle qu’elle a été décrite au Comité éthique et cancer en séance plénière, indique que cette femme est dans une situation d’isolement social et affectif important, du fait, sans doute en grande partie, de sa pathologie psychiatrique. Elle n’a ainsi jamais travaillé ; ses trois enfants ont été confiés à la garde de leur père et ne veulent plus entendre parler d’elle ; elle vit seule. Ses troubles psychiatriques, même s’ils sont bien réels, ne justifient pas pour autant une mise sous tutelle ou curatelle, pas plus qu’ils ne permettent d’envisager une hospitalisation sous contrainte. Par ailleurs, il convient de constater que les multiples contacts engagés par l’équipe médicale spécialisée en oncologie qui s’occupe de cette patiente avec les différents intervenants, qu’il s’agisse notamment du médecin généraliste, de l’équipe de l’hôpital de proximité et de celle du secteur psychiatrique, ainsi que les différentes tentatives d’organisation d’une prise en charge et d’un suivi, tant sur le plan somatique que psychiatrique, témoignent d’une absence d’abandon de la patiente : visiblement, tout ce qui pouvait être fait l’a été.

Refus de soins et discernement

Le parcours de la patiente tend à indiquer que les demandes de soins et de traitement qu’elle a exprimées n’en sont, en définitive, pas vraiment. Il est d’ailleurs permis de comprendre ses hésitations par rapport à l’opération chirurgicale proposée, compte tenu de la lourdeur de celle-ci et de ses conséquences, tant esthétiques que fonctionnelles. Il est des patients qui refusent des traitements pour des motifs qui paraissent de bien moindre importance a priori, par exemple une chimiothérapie par crainte de la perte des cheveux. La situation de cette patiente s’apparente de fait à un refus de soins. Par principe, il convient de respecter ce refus, même s’il ne s’exprime pas en tant que tel.
La question qui se pose néanmoins est de savoir si l’attitude de la patiente n’est pas liée à sa pathologie psychiatrique dont il est permis de se demander si celle-ci n’entrave pas son discernement. Il convient toutefois de rappeler que le discernement est une notion délicate, qui ne se joue pas sur une partition en noir ou blanc. Quiconque se trouve en situation de devoir prendre une décision importante, surtout dans le contexte d’une maladie grave, peut être sujet au doute et aux hésitations. La liberté inaliénable de l’homme implique de pouvoir changer d’avis.
Ce qui importe avant tout, c’est d’éclairer le discernement de la personne. Cela nécessite de lui fournir la meilleure information possible et de solliciter, si cela est rendu possible, l’entourage familial et/ou affectif qui pourra l’éclairer et la guider dans sa décision. L’équipe médicale, quant à elle, se doit d’adapter son attitude à la réalité de la personne, y compris dans ses hésitations et ses éventuels errements. Le soignant est par définition au service du patient. Son devoir est de l’aider en fonction de ce qu’il perçoit de la volonté du malade. Comme le rappelait l’avis n° 10 du Comité éthique et cancer, l’asymétrie entre la situation du soignant et celle du soigné conduit de fait à une asymétrie en matière de droits et de responsabilités : « Le malade a une part de responsabilité dans sa prise en charge ; il peut, par son comportement, en déterminer la plus ou moins grande efficacité, indiquait le comité qui rappelait que les devoirs sont […] du côté des soignants : soigner et ne pas abandonner les malades malgré les difficultés.1 » En l’espèce, le soignant ne saurait baser ses décisions sur le fait que le patient se conduit d’une manière qui pourrait être qualifiée d’irresponsable. Il doit chercher à discerner dans ses paroles et ses comportements, parfois confus, contradictoires, paradoxaux ou fluctuants, une intention qui peut lui être attribuée, avec une marge de doute raisonnable, et qui correspond à ce qu’il peut assumer. Quelle que soit l’attitude du patient, une telle démarche guide les choix thérapeutiques du soignant, qui ne peut se mettre en situation d’abandonner ce dernier et ne peut renoncer à lui prodiguer les meilleurs soins possibles.

Pathologie associée au cancer

La maladie psychiatrique de la patiente peut être par ailleurs considérée comme une comorbidité qui, au même titre qu’une pathologie cardiaque associée est susceptible d’empêcher l’administration de certains médicaments, ne permet pas d’envisager la prise en charge optimale qui serait souhaitable sur le plan strictement médical. Là encore, le soignant doit adapter ses décisions à ce qu’il évalue de la réalité complexe du patient et accepter que celle-ci puisse limiter l’exercice de son art. Il convient dès lors d’évaluer toutes les alternatives possibles et de proposer les soins et les traitements qui paraissent pouvoir être envisagés avec la patiente. En sachant que l’équipe médicale doit également prendre garde à ne pas se faire accaparer par la situation de cette patiente, au point de ne plus être en mesure d’accorder toute l’attention requise aux autres patients dont elle assure la prise en charge, ce qui pourrait constituer pour eux une perte de chance injustifiée.
Dans le cas présent, les éléments d’information dont dispose le Comité éthique et cancer indiquent que l’équipe soignante ne se trouve pas en situation de non-assistance à personne en danger. Pour autant, le refus de soins effectif exprimé en actes par cette patiente et la forme d’impuissance qui en résulte peuvent être difficiles à accepter par les membres de cette équipe. Le Comité éthique et cancer considère qu’il serait dès lors judicieux que soient organisées une ou plusieurs réunions de l’ensemble de l’équipe avec les membres d’une instance habituée à traiter ces problèmes, par exemple comités d’éthique traitant des questions de soins, afin que puissent être évoquées toutes les difficultés rencontrées. Ce type de réunion est en effet susceptible de permettre aux membres de l’équipe de comprendre et de s’approprier les décisions prises, et au final d’assumer les limites de ce qu’ils auront pu entreprendre. Il serait aussi souhaitable d’informer la famille du raisonnement et des éléments pris en compte, qui ont abouti à la décision médicale, sauf bien sûr si la patiente a exprimé de façon suffisamment claire son refus que sa famille soit informée.

Notes

  • 1. In avis n°10, « La violence morale ou physique exercée par un patient sur les membres d’une équipe HAD peut-elle justifier l’interruption de sa prise en charge ? »