Avis n°21

du 15 janvier 2013
De l’équité d’accès et d’information aux tests génomiques : le cas du test prédictif Oncotype DX dans les cancers du sein

Environ 53 000 femmes se voient diagnostiquer annuellement un cancer du sein en France. Parmi les 80 % présentant un cancer infiltrant, environ la moitié reçoit une chimiothérapie adjuvante dans le but de diminuer la probabilité de récidive à dix ans et d’augmenter leur espérance de vie. Cependant, une grande partie des femmes qui reçoivent une chimiothérapie la reçoivent « pour rien », parce qu’elles n’auraient pas rechuté sans la recevoir ou que parfois elles rechutent malgré elle.
Des tests multigènes ont été développés dans les dernières années, qui sont mieux capables que l’ensemble des facteurs classiquement utilisés (grade, récepteurs aux hormones, prolifération, âge, taille de la tumeur et envahissement des ganglions) de prédire, en addition à ceux-ci, quelles femmes vont obtenir un bénéfice réel d’une chimiothérapie adjuvante.
Parmi ces tests, Oncotype DX est le plus avancé. Il permet d’éviter 20 à 25 % des chimiothérapies environ. Il est très largement utilisé aux États-Unis, et est inclus dans les recommandations nationales américaines et internationales de prise en charge, avec un bon niveau de preuve (« présomption scientifique »).
En France, le test est pleinement disponible puisque estampillé CE, mais non remboursé. Il n’existe pas de procédure de remboursement européenne pour ces nouveaux tests. Tout ceci pose des problèmes d’équité d’accès aux tests et la France prend du retard dans l’adoption de ces tests génomiques.


 

À l’heure actuelle, le cancer du sein n’est plus considéré comme une entité pathologique unique. L’étude de l’expression des gènes a permis d’identifier plusieurs entités distinctes, présentant des risques évolutifs différents. Par exemple, les tumeurs dites « triple négatifs », c’est-à-dire dont l’expression est négative pour les récepteurs hormonaux et pour le récepteur HER2, présentent un risque de rechute élevé pendant les premières années qui suivent le diagnostic mais beaucoup plus faible ensuite. À l’inverse, les tumeurs dont l’expression est positive pour les récepteurs hormonaux sont associées dès le départ à un risque de rechute peu élevé mais qui persiste à long terme. Ce type de « signature génomique » est désormais intégré aux décisions thérapeutiques, en complément des facteurs cliniques et anatomopathologiques que sont notamment la taille de la tumeur, sa forme histologique, la présence ou non d’un envahissement ganglionnaire, et l’âge de la patiente.
Les recommandations thérapeutiques actuelles préconisent ainsi une chimiothérapie adjuvante1 systématique chez les patientes dont la tumeur présente des caractéristiques associées à un risque élevé de récidive. Lorsque la tumeur est considérée à bas risque, la chimiothérapie adjuvante n’est pas recommandée parce que le bénéfice attendu de ce traitement est inférieur à 5 % en termes de survie, pour des effets secondaires et une altération de la qualité de vie qui peuvent être importants. Les décisions thérapeutiques sont plus compliquées pour les formes de cancer du sein à risque intermédiaire, c’est-à-dire pour lesquelles le risque de décès à dix ans varie de 5 à 25 %, parce que leur chimiosensibilité, très variable, est difficile à anticiper.
Ces formes à risque intermédiaire représentent 30 à 40 % de l’ensemble des cancers du sein, soit, en se basant sur le chiffre de l’incidence du cancer du sein en 2011 en France2, plus de 15 000 à 21 000 patientes chaque année dans notre pays. Les indications de prescription sont devenues très hétérogènes en France : en l’absence de référentiel fixe, les avis divergent régulièrement sur la conduite à tenir dans les cas « intermédiaires ».
Beaucoup de ces femmes reçoivent à l’heure actuelle une chimiothérapie adjuvante. Il est estimé que ce traitement n’apporte en définitive pas de bénéfice3 : soit que la patiente n’aurait pas présenté de rechute en l’absence de chimiothérapie, soit que la maladie récidivera malgré le traitement.

Pourquoi des tests de génétique moléculaire ?

La difficulté consiste à identifier parmi les patientes dont le cancer est considéré comme étant à risque intermédiaire celles qui vont véritablement bénéficier de la chimiothérapie adjuvante. Les critères actuels sont insuffisants pour cela. D’où le développement de tests de génétique moléculaire visant à permettre de discriminer plus finement les patientes en fonction de l’expression des gènes dans les cellules tumorales et du risque pronostic qui est associé à cette expression. Ces tests reposent, d’une part, sur des puces à ADN permettant de cartographier l’expression des gènes dans les cellules tumorales, d’autre part, sur des algorithmes basés sur des corrélations entre l’expression de groupes de gènes et des données cliniques et/ou biologiques. Plusieurs tests sont en cours de développement ; le test Oncotype DX, de la société états-unienne Genomic Health, est considéré comme le plus avancé actuellement. La discussion a donc été centrée sur ce test.
À partir d’un échantillon de tissu tumoral, ce test analyse, par une technique de PCR 4 en temps réel à haut débit, l’expression de 21 gènes choisis pour 16 d’entre eux en raison de leur corrélation avec le risque de récidive du cancer du sein, les cinq autres gènes servant de référence. L’analyse de l’expression de ce panel de gènes conduit à calculer un « score de récidive » qui indique si le risque peut être classé comme étant faible, intermédiaire ou élevé. Le test Oncotype DX concerne les femmes atteintes d’un cancer du sein invasif avec des récepteurs aux œstrogènes positifs sans envahissement ganglionnaire, et les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein invasif avec des récepteurs hormonaux positifs et un envahissement ganglionnaire.

Une évaluation en cours

Différentes études publiées ont évalué le test Oncotype DX5,6,7,8,9. Ces évaluations ont été réalisées de manière rétrospective à partir d’échantillons tumoraux obtenus dans le cadre d’essais prospectifs et d’une cohorte prospective lancés dans les années 1980 et 1990. Ces essais ont concerné des femmes présentant un cancer du sein avec expression positive pour les récepteurs hormonaux, avec ou sans envahissement ganglionnaire. Elles ont soit été traitées par hormonothérapie, avec ou sans chimiothérapie, soit n’ont reçu aucun traitement. Globalement, les résultats publiés indiquent que le test Oncotype DX présente une valeur pronostique vis-à-vis du risque de récidive. Ils montrent également que ce test est prédictif de la réponse à la chimiothérapie et à l’hormonothérapie. Deux essais prospectifs sont actuellement en cours10. Ils visent à apporter la confirmation des données rétrospectives obtenues jusqu’à présent. Les premiers résultats de ces deux essais sont attendus en 2014 ou 2015.
À l’heure actuelle, l’utilisation du test Oncotype DX est d’ores et déjà intégrée dans différentes recommandations nationales et internationales. C’est le cas notamment des recommandations de l’Asco (American Society of Clinical Oncology11), du NCCN (National Comprehensive Cancer Network12) et du groupe de travail Egapp (Evaluation of Genomic Applications in Practice and Prevention13) des Centers for Diseases Control and Prevention aux États-Unis, ainsi que de la conférence de consensus internationale de St. Gallen14 et de l’Esmo (European Society for Medical Oncology15). Récemment, le Nice (National Institute for Health and Clinical Experience) britannique a toutefois considéré que l’utilisation de ce test ne pouvait être recommandée dans l’état actuel des données disponibles en raison d’incertitudes sur son efficacité clinique, cela même si sa valeur pronostique est présentée comme étant bien validée16.
Différentes études médico-économiques ont par ailleurs été réalisées pour évaluer le rapport coût/efficacité du test Oncotype DX. Certaines de ces études apportent des conclusions en faveur du test, d’autres sont plus mitigées. Dans ses recommandations provisoires, le Nice britannique considère que les incertitudes sur l’utilité clinique de ce test conduisent à ne pas pouvoir déterminer s’il est coût-efficace16.
La société Genomic Health affirme avoir réalisé depuis 2004 le test Oncotype DX pour 265 000 patientes dans 65 pays. Le coût du test est d’environ 3 000 euros. Aux États-Unis, il est pris en charge par plus de 95 % des assurances privées et par le dispositif Medicare17. Les Pays-Bas remboursent un test analogue, Mamaprint® ; l’Allemagne a adopté récemment le test autrichien Endepredict®. En France, aucun de ces tests n’est inscrit à la nomenclature des actes médicaux et ne peut par conséquent faire l’objet d’un remboursement par l’assurance maladie. Le test Oncotype DX n’est pas non plus intégré à la liste des tests de génétique moléculaire réalisés par le réseau de plateformes hospitalières de génétique moléculaire des cancers mis en place depuis 2006 par l’Institut national du cancer (INCa). L’argument des autorités est que les études manquent encore pour accorder une homologation. La réalisation du test peut toutefois être prescrite par un médecin exerçant en France en passant directement commande auprès de Genomic Health et en adressant un échantillon tumoral au laboratoire de cette société. Le coût du test est alors entièrement à la charge de la patiente.

Des bénéfices potentiels importants

Il n’appartient pas au Comité éthique et cancer de procéder à l’analyse scientifique, médicale et médico-économique des données actuellement disponibles sur le test Oncotype DX et de déterminer la valeur du service médical rendu qu’il est susceptible d’apporter. Cela ne relève ni de ses missions ni de ses compétences, mais de celles des autorités de santé, en particulier la Haute autorité de santé et l’INCa. Le Comité considère qu’il est légitime qu’une telle analyse soit réalisée par des instances compétentes françaises, indépendamment de celles déjà effectuées par d’autres institutions et des recommandations émises par celles-ci, dans la mesure où c’est la collectivité nationale, par l’entremise de l’assurance maladie, qui sera éventuellement amenée à financer le recours à ce test. Cependant, les informations actuellement connues conduisent à penser qu’il serait bon que cette évaluation soit réalisée de la manière la plus rapide possible.
Sans préjuger des résultats de cette évaluation, les bénéfices potentiels de l’utilisation de ce test apparaissent importants :
– pour les patientes, puisque chaque année plusieurs milliers d’entre elles pourraient éviter de subir une chimiothérapie dont le préjudice, en termes d’expérience vécue et d’effets secondaires éventuels, ne serait compensé par aucun bénéfice de santé ;
– pour le système de santé, puisque des économies substantielles pourraient être réalisées si plusieurs milliers de traitements inutiles, possiblement dangereux et effectivement coûteux, étaient ainsi épargnés annuellement.
Ces bénéfices potentiels justifient de déterminer le plus rapidement possible le service médical rendu du test Oncotype DX. Le Comité invite par conséquent les autorités compétentes à procéder à une évaluation dans les meilleurs délais.

Le danger d’une situation de monopole

Parallèlement, le Comité en appelle à une extrême vigilance compte tenu de la situation de monopole détenu par la société Genomic Health. Cette société a le droit légitime de détenir un brevet sur son test, de bénéficier d’un retour sur investissement et de choisir de ne pas commercialiser sa technologie à des institutions tierces. Mais cela signifie que si les autorités de santé décident, après évaluation, de valider l’utilisation de ce test, il ne pourra être réalisé par aucun autre laboratoire que celui de Genomic Health, et notamment pas par les plateformes hospitalières de génétique moléculaire des cancers mises en place par l’INCa. Un tel cas de figure placerait le système de santé en situation de totale dépendance vis-à-vis d’un opérateur unique privé. Il y a un danger à ce que cette situation monopolistique se reproduise s’agissant d’autres tests de génétique moléculaire développés par des sociétés commerciales alors même qu’il sera difficile de résister à la demande des patients pour ces tests dont l’utilité peut être importante. Le Comité invite par conséquent les autorités de santé à rechercher avec la société Genomic Health – et cela dès le lancement de l’évaluation du test Oncotype DX –, et avec les entreprises du même type, des solutions satisfaisantes pour tous, qui devront éviter que le système de santé et d’assurance maladie ne se trouve dépendant d’une telle position de monopole.

Inéquité d’accès et d’information

Dans l’attente de l’aboutissement de l’évaluation du test par les autorités de santé, la situation actuelle est génératrice d’inéquité dans la mesure où la possibilité d’accès à ce test non remboursé pèse différemment, selon leurs ressources, sur les femmes susceptibles d’en bénéficier, et que le coût substantiel de ce test peut même constituer un obstacle insurmontable pour nombre d’entre elles. L’audition du Dr Delaloge a permis de comprendre que cette inéquité dans les possibilités d’accès pouvait conduire les oncologues exerçant dans les centres hospitaliers à ne pas évoquer l’existence de ce type de test auprès des patientes. Cette attitude est, dans le contexte, humainement compréhensible, mais le Comité estime qu’il n’y a pas, dans la situation, de vertu éthique à la dissimulation. Réduire l’inéquité ne peut pas s’envisager au prix d’une atteinte à l’autonomie des personnes qu’on prive de la possibilité de décider par elles-mêmes de consentir ou non à la dépense, ou d’agir pour, éventuellement, mobiliser les aides auxquelles elles peuvent avoir accès si elles le souhaitent pour financer le test. La réalité de l’existence de ce test et les connaissances dont on dispose sur lui doivent être dites, comme doivent être expliquées aussi les raisons de son non-remboursement actuel.
Au final, le Comité éthique et cancer invite les oncologues à apporter aux patientes concernées l’information utile sur le test Oncotype DX. Mais il considère, dans le même temps, qu’il n’est pas juste de laisser les cliniciens seuls gérer cette situation de communication possiblement difficile et il invite les autorités de santé, notamment par l’entremise de l’INCa, à produire rapidement un document d’information de référence destiné aux patientes, sur lequel les oncologues pourraient s’appuyer.

Notes

  • 1. Chimiothérapie « adjuvante », c’est-à-dire complémentaire à la chirurgie, dans le cas du cancer du sein.
  • 2. Le nombre de cas de cancer du sein attendu pour 2011 est de 53 000. Source : Francim/Hospices civils de Lyon/INCa/Inserm/InVS 2011 : https://lesdonnees.e-cancer.fr/les-fiches-de-synthese/1-types-cancer/9-cancer-sein/1-epidemiologie-du-cancer-du-sein-en-france-metropolitaine-incidence-et-mortalite.html#ind3.
  • 3. Lors de son audition, le Dr Suzette Delaloge a indiqué que « 50 à 95 % des traitements sont inutiles selon les cas, car le traitement n’est pas suffisamment individualisé ».
  • 4. La PCR (polymerase chain réaction, « réaction en chaîne par polymérase ») est une méthode de biologie moléculaire d’amplification d’ADN in vitro.
  • 5. S. Paik, S. Shak, G. Tang et al., “A Multigene Assay to Predict Recurrence of Tamoxifen-Treated, Node-Negative Breast Cancer”, N. Engl., J. Med. 2004;351:2817-2826.
  • 6. LA Habel, S. Shak, M. Jacobs et al., “A Population-Based Study of Tumor Gene Expression and Risk of Breast Cancer Death Among Lymph Node-Negative Patients”, Breast Cancer Res. 2006;8:R25.
  • 7. S. Paik, G. Tang, S. Shak et al., “Gene Expression and Benefit of Chemotherapy in Women with Node-Negative, Estrogen Receptor-Positive Breast Cancer”, J. Clin. Oncol. 2006;24(23):3726-3734.
  • 8. M. Dowsett, J. Cuzick, C. Wale et al., “Prediction of Risk of Distant Recurrence Using the 21-Gene Recurrence Score in Node-Negative and Node-Positive Postmenopausal Breast Cancer Patients Treated with Anastrozole or Tamoxifen: A TransATAC Study”, J. Clin. Oncol. 2010;28(11):1829-1834.
  • 9. K. Albain, W. Barlow, S. Shak et al., “Prognostic and Predictive Value of the 21-Gene Recurrence Score Assay in Postmenopausal, Node-Positive, Estrogen Receptor-Positive Breast Cancer“, Lancet Oncology. 2010;11(1):55-65.
  • 10. Essais TAILORx et RxPonder.
  • 11. L. Harris, H. Fritsche, R. Mennel et al., American Society of Clinical Oncology 2007, “Update of Recommendations for the Use of Tumor Markers in Breast Cancer”, Journal of Clinical Oncology. 2007;25(33):5287-5312.
  • 12. “NCCN Clinical Practive Guidelines in Oncology” (NCCN Guidelines®). Breast Cancer. Version 1.2012.
  • 13. “Recommendations from the Egapp Working Group: can tumor gene expression profiling improve outcomes in patients with breast cancer?” Genetics in Medicine. 2009;11(1):66-73.
  • 14. M. Gnant, N. Harbeck, et Ch. Thomssen. “St. Gallen 2011: Summary of the Consensus Discussion”. Breast Care 2011;6:136–141.
  • 15. S. Aebi, T. Davidson, G. Gruber, M. Gastiglione. “Primary breast cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up”. Annals of Oncology. 2010;21(S5):v9-v14.
  • 16. National Institute for Health and Clinical Experience. Diagnostics consultation document. “Gene expression profiling and expanded immunohistochemistry tests to guide the use of adjuvant chemotherapy in breast cancer management: MammaPrint, Oncotype DX, IHC4 and Mammostrat”. January 2012.
  • 17. Informations issues du site www.oncotypedx.com.