Avis n°24

du 16 septembre 2014
Le consentement de la famille face au prélèvement sur mineur à des fins d’utilisation pour un projet de recherche

Mme et M. D. saisissent le Comité éthique et cancer suite à la demande manuscrite faite par un établissement hospitalier au sein duquel leur enfant était hospitalisé. Dans le cadre des soins, l’hôpital a pratiqué des prélèvements qui, jusqu’alors avaient été stockés pour des projets de recherche. Cet enfant est depuis décédé et la famille semble ne pas avoir fait le deuil de cet enfant très tôt disparu.
Mme et M. D. semblent n’avoir pas été informés que l’établissement avait pratiqué lesdits prélèvements et, selon leur propos, sont extrêmement choqués à la fois par l’idée qu’« un bout de leur fils » ait été stocké depuis plus de trois années sans leur consentement et par la manière jugée « indélicate »  – une simple lettre –, de leur demander un accord pour ces prélèvements à visée de recherche.
Si cette famille a conscience de l’importance de la recherche sans laquelle il ne pourrait y avoir de traitements et d’espoir de guérison, elle s’oppose aujourd’hui fermement à l’utilisation de ces prélèvements à des fins de projet de recherche, demande que ceux-ci soient incinérés et d’en être assurée par un justificatif.


 

Au-delà du cas particulier décrit, cette saisine est emblématique d’une situation devenue fréquente et qui va certainement tendre à l’être davantage encore à l’avenir. Elle est de surcroît régulièrement à l’origine de contentieux. Cette situation met en jeu des tensions éthiques, issues de la confrontation entre des enjeux médicaux, scientifiques, moraux, mais aussi financiers, qui justifient pleinement que le Comité éthique et cancer se saisisse de cette question, sachant de plus que les dispositifs réglementaires français et européen sont actuellement en pleine évolution.
Il n’appartient pas au Comité éthique et cancer d’arbitrer le cas précis de M. et Mme D. Il n’est certainement pas de situation plus difficile et plus malheureuse pour des parents et pour une famille que de perdre un enfant, et chacun ne peut éprouver que de la compassion à leur endroit. Nul ne peut se permettre de juger leur réaction. Il convient toutefois d’indiquer que ces parents avaient donné leur consentement pour que des prélèvements biologiques soient réalisés sur leur enfant et conservés dans le cadre d’une recherche précise. Il est également permis de remarquer que la démarche du centre hospitalier où avait été soigné leur fils, visant à leur demander leur consentement pour l’utilisation de ces prélèvements biologiques, conservés depuis le décès de leur enfant, à des fins de recherche non prévues initialement, était légitime et conforme à la réglementation en vigueur. Cependant, force est de constater que, sur la forme, la lettre de l’institution, exprimant la demande, était maladroite. Cette maladresse explique, en partie tout du moins, la vive réaction de ces parents. Par ailleurs, le Comité réaffirme le droit plein et entier de ceux-ci à refuser toute utilisation des échantillons biologiques prélevés sur leur fils de son vivant. Le libre arbitre repose tout autant sur la capacité à faire valoir sa décision qu’à pouvoir ensuite modifier celle-ci. Comme l’affirment d’ailleurs les textes en vigueur, un consentement peut être révoqué à tout moment.
La démarche du Comité éthique et cancer vise donc à dépasser le cas particulier présenté. L’objectif est d’éclairer les tensions éthiques concernant le recueil et l’utilisation des échantillons biologiques obtenus au cours de soins ou de recherches, et qui sont conservés dans des biobanques1. Il s’agit d’interroger la réglementation et les pratiques au regard des évolutions scientifiques et sociales tout autant que de la nécessaire protection de la personne humaine. Le Comité entend ainsi identifier et proposer des lignes de conduite susceptibles de répondre à ces tensions éthiques.

Le contexte réglementaire

Les modalités de conservation, d’accès et d’utilisation des échantillons biologiques sont encadrées par différents textes législatifs et réglementaires. Il s’agit en particulier des lois de bioéthique du 29 juillet 1994, du 6 août 2004 et du 7 juillet 2011, ainsi que des lois sur la recherche biomédicale du 20 décembre 1988, du 9 août 2004 et du 5 mars 2012. Des textes réglementaires précisent cet encadrement, notamment le décret n° 2007-1220 du 10 août 2007 et l’arrêté du 16 août 2007. Ces textes s’appliquent aux « collections d’échantillons biologiques humains » qui sont définies comme « la réunion, à des fins scientifiques, de prélèvements biologiques effectués sur un groupe de personnes identifiées et sélectionnées en fonction des caractéristiques cliniques ou biologiques d’un ou plusieurs membres du groupe, ainsi que des dérivés de ces prélèvements2 ». Même si ces termes ne figurent pas expressément dans les textes, les collections mentionnées sont généralement appelées « biobanques ». Les organismes qui constituent et utilisent ces collections pour les besoins de leurs programmes de recherche sont distingués de ceux qui assurent la conservation et la préparation de tissus et cellules du corps humain en vue de leur cession pour un usage scientifique, dans le cadre d’une activité commerciale ou à titre gratuit. Les premiers relèvent d’un régime de déclaration, les seconds d’un régime d’autorisation. L’autorité compétente est le ministre chargé de la Recherche3.
En matière d’information et de consentement, les textes en vigueur définissent les principes et dispositions suivantes :
- Le prélèvement d’éléments du corps humain ou la collecte de produits humains suppose le respect d’un principe absolu : le consentement préalable de la personne concernée après qu’elle a été informée4. Ce consentement est révocable à tout moment4.
- L’utilisation d’éléments prélevés ou collectés à une autre fin (médicale ou scientifique) que celle ayant motivé le prélèvement ou la collecte (diagnostic ou soin) est possible à deux conditions : d’une part que le patient soit informé préalablement de cette utilisation, d’autre part qu’il n’exprime pas d’opposition à celle-ci5.
- Lorsque la personne concernée est un mineur ou un majeur protégé, ce sont les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur qui peuvent exercer le droit d’opposition6.
- Il est prévu une dérogation à l’obligation d’information lorsque la personne concernée ne peut être retrouvée7. Cette dérogation peut également intervenir dans le cadre d’un protocole de recherche si le Comité de Protection des Personnes (CPP) estime que l’information des personnes n’est pas nécessaire8.
- Lorsque l’utilisation à une autre fin comporte un examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles de la personne, celle-ci n’est possible qu’à deux conditions : d’une part, une information préalable de la personne, d’autre part l’expression de son consentement exprès par écrit9.
- Si le prélèvement ou la collecte a été réalisé dans le cadre d’un protocole de recherche, son utilisation à une autre fin que celle à laquelle il a été consenti initialement relève de la loi sur la recherche biomédicale.
- Le prélèvement d’organes sur une personne décédée est possible à la condition que la personne ne s’y soit pas opposée de son vivant. Lorsque la personne décédée était un mineur, le prélèvement d’organes peut avoir lieu uniquement si chacun des titulaires de l’autorité parentale donne son consentement par écrit.
D’une manière générale, les textes prévoient une information préalable systématique suivie, selon les circonstances, d’un consentement exprès ou de l’expression d’une non-opposition.
Par ailleurs, des textes réglementaires précisent les durées de conservation des échantillons biologiques (cf. annexe 1).

Le contexte scientifique

Les techniques d’analyse biologique ont connu des progrès considérables, en particulier dans les domaines du génotypage, du séquençage et de l’analyse bioinformatique et biostatistique. Elles sont désormais le pilier des avancées de la recherche médicale et scientifique. En oncologie, elles contribuent notamment à mieux caractériser les mécanismes de l’oncogenèse, à identifier des biomarqueurs susceptibles de permettre la mise au point de tests de dépistage, à préciser des sous-types d’un cancer en fonction de ces biomarqueurs et ainsi à définir des groupes de patients en fonction de leurs caractéristiques génétiques, à orienter la prise en charge thérapeutique des patients, à définir et à valider des cibles thérapeutiques. Ces techniques sont le socle de la médecine dite personnalisée10. Elles conduisent également à ce que la distinction entre soin et recherche ne soit aujourd’hui plus aussi étanche que par le passé.
La masse d’informations qui peuvent être aujourd’hui recueillies à partir des échantillons biologiques est particulièrement importante et complexe à analyser. Cela suppose de disposer de compétences et de technologies spécifiques, ainsi que d’une infrastructure adéquate. Pour que les analyses soient pertinentes, il est également nécessaire qu’elles soient réalisées selon un protocole de recherche bien défini et à partir d’un nombre d’échantillons biologiques suffisamment important pour obtenir une puissance statistique probante. Tout cela explique l’essor considérable des biobanques depuis une dizaine d’années, ainsi que les échanges nombreux, y compris au niveau international, entre celles-ci.

Le contexte social

Au cours des dernières décennies, la perception de la propriété du corps, du vivant de la personne comme après son décès, a notablement évolué. L’appropriation collective de tout ou partie de ce corps à des fins scientifiques et médicales, qui était communément acceptée – en grande partie sans doute par ignorance ou méconnaissance de celle-ci –, ne l’est plus aujourd’hui. L’évolution des textes législatifs et réglementaires en témoigne. Plus que jamais, les patients, mais aussi leurs proches, veulent savoir ce qu’il advient des prélèvements qui sont effectués et intervenir dans les décisions relatives à leur utilisation. Cette évolution est du même ordre que celle qui a prévalu à la législation sur la recherche biomédicale et qui a introduit une obligation d’information et de consentement avant toute participation à un essai clinique.
Parallèlement, une méfiance, voire une défiance à l’égard de l’utilisation des échantillons biologiques, notamment en matière génétique, et par conséquent à l’égard des biobanques, est perceptible dans la population générale. Cette méfiance résulte de risques réels quant à l’usage qui peut être fait des échantillons biologiques (voir infra), mais aussi d’un sentiment d’opacité concernant les activités des biobanques. La complexité des travaux menés à partir des échantillons biologiques peut en partie expliquer cette opacité perçue ; elle serait dès lors la conséquence d’un défaut d’information accessible plus que d’une volonté organisée. Nul doute également que les procédures juridiques qui ont eu lieu ces dernières années, notamment aux États-Unis, ainsi que le long débat portant sur la brevetabilité de séquences ADN et les contestations qui lui ont été associées, contribuent à alimenter la méfiance de la population eu égard aux intérêts financiers en jeu.
Il convient également de souligner que l’écart entre, d’une part, ce qui peut se dire et se jouer habituellement dans le cadre de la relation médecin/malade et, d’autre part, la réalité de l’utilisation et de la circulation des échantillons biologiques et des données détenues par les biobanques, ne permet guère d’amoindrir le sentiment de méfiance.

Les risques liés à l’utilisation des échantillons biologiques

Comme il a déjà été dit, les échantillons biologiques et plus encore les données issues de leurs analyses circulent abondamment entre les biobanques et entre les scientifiques qui les exploitent à des fins de recherche. Il ne saurait être question de contester l’intérêt de cette circulation dans la mesure où elle est indispensable à la conduite des travaux de recherche et donc aux progrès médicaux. En France, la réglementation encadre les conditions de cette circulation, notamment par l’obligation de contractualiser les échanges et les transferts.
Les données issues des recherches sur les échantillons biologiques font inévitablement l’objet d’un traitement informatique. Par nature, ces données informatisées comportent des informations relatives à la santé des personnes dont sont issus les échantillons, ainsi que des informations à caractère nominatif. Il est en effet indispensable de pouvoir assurer la traçabilité des échantillons (c’est même une obligation légale) au sein d’une collection. De plus, l’objectif des recherches consiste la plupart du temps à croiser les résultats des analyses des échantillons biologiques avec les données cliniques, anatomopathologiques, d’imagerie… contenues dans les dossiers médicaux des patients.
Par ailleurs, concernant spécifiquement les recherches génétiques, le séquençage de l’ADN, même s’il est réalisé à des fins de recherche de génétique somatique, peut mettre à jour des informations sur la génétique constitutionnelle de la personne (un risque de survenue d’une maladie notamment). La personne n’aura pas forcément connaissance de ces informations, mais celles-ci pourront être inscrites dans son dossier afin d’être intégrées dans les analyses réalisées11.
Les fichiers informatiques des biobanques comportent par conséquent des données de santé identifiantes. Ces fichiers sont soumis aux obligations de la loi Informatique et libertés relative aux droits des personnes, à la sécurité des données et aux modalités de leur transmission (voir annexe 2). Cependant, du fait de la circulation des données entre biobanques à l’échelle mondiale, ceux-ci sont présents sur des serveurs informatiques connectés au réseau internet. Par ailleurs, il n’existe pas à l’heure actuelle de mesures de protection des données informatiques qui puissent être considérées comme totalement invulnérables. Ainsi, à condition d’avoir un but précis, de disposer des connaissances suffisantes et des outils informatiques nécessaires pour exploiter des données issues d’une biobanque, il apparaît aujourd’hui possible d’accéder à de telles données, voire d’identifier les personnes dont elles sont issues12,13.
Il existe ainsi un risque indéniable, même s’il peut paraître limité aujourd’hui, d’atteintes à la vie privée pour les personnes dont des données de santé identifiantes associées à des échantillons biologiques sont conservées dans les biobanques. Les conséquences de telles atteintes pourraient être préjudiciables pour ces personnes si l’on imagine l’usage qui pourrait en être fait par exemple par les compagnies d’assurance et les mutuelles, les employeurs, les écoles et les universités, ou même les pouvoirs publics. Un cancer survenu au cours de l’enfance pourrait ainsi « poursuivre » une personne tout au long de sa vie et l’exposer à d’éventuelles discriminations14.

Les recommandations du Comité éthique et cancer

À la lumière de ces différents constats, le Comité éthique et cancer préconise les recommandations suivantes :
- Favoriser l’éducation scientifique de la population
Tout effort en faveur d’une amélioration des connaissances de la population sur la recherche scientifique, en particulier médicale, son organisation, ses modalités de fonctionnement et ses résultats contribue à permettre une meilleure compréhension de ses enjeux globaux et des débats éthiques qui la traversent. Cela favorise l’autonomie générale des personnes vis-à-vis de situations que chacun peut rencontrer au cours de sa vie. Ainsi, il apparaîtrait judicieux que des actions régulières d’information et de communication soient mises en œuvre par des institutions publiques sur l’existence et l’intérêt des recherches menées à partir des échantillons biologiques et par conséquent sur l’importance pour les personnes malades, au-delà de leurs intérêts individuels, à permettre que de telles recherches soient poursuivies. De telles actions sont en cours depuis longtemps sur, par exemple, le don d’organes et de moelle osseuse. Elles participent à mieux faire connaître ces formes de dons et contribuent aux décisions individuelles à leur propos.
Les actions d’information supposent également d’expliciter les résultats des recherches menées et les avancées médicales ainsi obtenues. La transparence vulgarisée de la recherche construit et encourage la confiance envers celle-ci.
- Améliorer l’information des personnes lors des prélèvements d’échantillons biologiques et lors des consentements
Les textes actuellement en vigueur prévoient une information des personnes sur la finalité des échantillons biologiques qui leur sont prélevés, que ce soit dans le cadre du soin ou d’une recherche. Cependant, il apparaît qu’il conviendrait de renforcer et d’expliciter davantage l’information sur le caractère de long terme de la conservation et de la possible utilisation ultérieure des échantillons. Il est indispensable que les patients comprennent la finalité immédiate des prélèvements qui sont réalisés. Il est tout aussi indispensable qu’ils aient conscience qu’une partie de ces échantillons sera conservée, possiblement pendant plusieurs décennies, et qu’ils pourront dès lors être utilisés lors de recherches à venir. Il convient également que l’information délivrée explique clairement qu’il n’est pas forcément, voire même systématiquement possible de détailler pour quelles recherches précises les échantillons biologiques seront employés à l’avenir, l’avancement de la recherche médicale n’étant pas prévisible, surtout à des échéances lointaines. Par conséquent, les patients doivent savoir qu’ils pourront être amenés à être contactés bien des années après le ou les prélèvements, y compris vingt ou trente plus tard, et alors même que la situation de maladie qui a conduit à la réalisation des prélèvements ne sera peut-être pour eux plus qu’un lointain souvenir.
Toutes ces informations sont de nature à éclairer les personnes dans leurs choix et à renforcer leurs consentements. Il conviendrait à ce titre que les patients soient clairement informés dans les formulaires de consentement qu’ils peuvent s’opposer à toute utilisation ultérieure de leurs échantillons biologiques si telle est leur préférence. En cas de consentement à une utilisation ultérieure dans un cadre de recherche de ces mêmes échantillons, il pourrait être utile que les patients puissent signifier qu’ils ne souhaitent pas être recontactés pour réaffirmer leur consentement ; certaines personnes préfèrent en effet, lorsque cela leur est possible, tourner totalement la page sur la maladie qui les a affectées.
Enfin, il serait utile, là encore pour les personnes qui le souhaitent expressément, qu’elles soient informées des résultats des recherches qui ont été ou seront menées à partir de leurs échantillons biologiques, à l’instar de ce qui est inscrit comme une obligation dans la loi pour les résultats des essais cliniques à l’endroit des personnes qui y ont participé. Cet engagement d’information sur les résultats contribuerait à la transparence et à la confiance envers les responsables des recherches et des institutions qui les mandatent.
- Désigner un référent responsable des échantillons biologiques
Le Comité éthique et cancer considère que, lors de l’information initiale délivrée aux personnes concernant le prélèvement d’échantillons biologiques, il devrait être mentionné un référent, avec ses coordonnées précises. Ce référent devrait être a priori l’établissement responsable de la conservation et de l’utilisation des échantillons, au sein duquel un professionnel de santé serait désigné comme exerçant cette fonction. Les patients (ou leurs ayants droit) pourraient s’adresser à ce référent pour savoir où se trouvent leurs échantillons biologiques, quelles sont les données de santé qui leur sont associées et quelles éventuelles recherches ont été menées à partir des uns et des autres.
La désignation d’un tel référent contribuerait à la transparence sur la conservation et l’utilisation des échantillons biologiques, et serait ainsi le moyen pour les patients qui le souhaitent d’exercer une certaine forme de contrôle.
Ce référent pourrait également permettre aux patients d’apporter et mettre à jour toutes informations utiles pour pouvoir être recontactés à l’avenir lors de toute demande ultérieure de consentement.
- Permettre le droit à l’oubli biologique
Par principe, tout consentement peut être révoqué à tout moment et sans avoir à en justifier la raison. Le Comité considère que les patients devraient avoir le droit de demander la destruction physique des échantillons biologiques qui leur ont été prélevés et qui ont été conservés à des fins de recherche, ainsi que l’effacement informatique des données les concernant qui sont associées à ces prélèvements. Il est certain que les informations associées à ces données pourraient être utiles pour les patients et leurs descendants. Cependant, le Comité considère que le patient (ou les parents dans le cas d’un mineur) doit pouvoir en toutes circonstances et en toute connaissance de cause décider de ce qu’il advient de ses échantillons biologiques prévus pour être utilisés dans un cadre de recherche.
Compte tenu de la large circulation des échantillons et encore plus des données informatiques, il est possible que des obstacles organisationnels puissent empêcher tout ou partie de parvenir à de telles destructions. Cependant, les patients (ou leurs ayants droit) doivent avoir l’assurance que leur demande a bien été prise en compte et que tout a été fait pour y répondre favorablement. À tout le moins, les patients doivent recevoir la garantie, qu’à défaut de destruction, les mesures ont été prises pour que, autant que cela est possible, aucune identification ne puisse être établie à partir de leurs échantillons biologiques et/ou de leurs données. Cette possibilité de droit à l’oubli biologique pourrait être l’une des missions confiées aux référents susmentionnés.
- Renforcer la législation sur la circulation des données associées aux échantillons biologiques
Comme cela a été dit, il existe un risque d’identification des personnes à partir des données associées aux échantillons biologiques conservés dans les biobanques. Il conviendrait que la législation sur la circulation de ces données entre organismes et équipes de recherche soit renforcée afin de s’assurer que ces données ne puissent être utilisées de quelque manière que ce soit en dehors de projets de recherche scientifique. Si de telles données, relatives par exemple à la génétique somatique ou constitutionnelle des personnes, devaient à l’avenir pouvoir être utilisées par des administrations, des organismes privés de prévoyance ou des employeurs, cela constituerait une atteinte aux droits des personnes et les exposerait à d’éventuelles discriminations. Tout doit être fait pour prévenir un tel risque.
- Intégrer la société civile dans la gouvernance des biobanques
Pour atténuer le sentiment d’opacité et de méfiance qui prévaut à l’égard des biobanques, il serait judicieux que des représentants des patients puissent être associés à la gouvernance de celles-ci, au minimum à titre consultatif. L’objectif n’est pas tant de contrôler la validité et la pertinence des recherches médicales menées, mais de pouvoir guider les biobanques dans leur politique d’organisation et de gestion des données dont elles disposent afin que celle-ci soit conforme au respect plein et entier des droits des personnes. Comme cela existe aujourd’hui dans de nombreux organismes de recherche clinique et dans des instances des autorités de santé, des représentants d’associations de patients pourraient être mandatés pour participer aux travaux des directions des biobanques. Ces représentants associatifs apporteraient ainsi une garantie de transparence.
À travers ces recommandations, le Comité éthique et cancer réaffirme tout l’intérêt des biobanques et des recherches qu’elles permettent de mener, sachant que celles-ci ont contribué aux progrès scientifiques et médicaux et vont à l’évidence continuer de le faire encore plus largement. En renforçant le droit des personnes, ces préconisations visent à favoriser l’implication des patients et par conséquent la réalisation des recherches.
Le Comité éthique et cancer tient à préciser que, lorsqu’elles s’appliquent à une échelle individuelle, ses recommandations concernent tout autant les patients dont sont issus les échantillons biologiques, que les titulaires de l’autorité parentale pour les patients mineurs et les tuteurs ou curateurs pour les patients majeurs protégés.

Encadré 1 : « Biobanques » ou « biothèques »

Ce qu’on appelle communément les « biobanques » sont des collections d’échantillons humains auxquels une somme croissante d’informations médicales et biologiques sont associées. Ces collections sont conçues pour le progrès des connaissances scientifiques et médicales, et pour celui de la prévention et de la thérapeutique, c’est-à-dire pour le bénéfice de l’humanité.
En 2003, le Comité Consultatif National d’Éthique français pour les sciences de la santé et de la vie (CCNE) a publié un avis (n° 77) : Les problèmes éthiques soulevés par les collections de matériel biologique et les données d’information associées : « biobanques », « biothèques ». Le CCNE envisageait alors deux termes : « biobanques » et « biothèques », et utilisait volontairement dans ce contexte, l’expression « partage des avantages ou des bienfaits » plutôt que de « partage des bénéfices ».
Contrairement au terme de « biothèque », celui de « biobanque » semble impliquer que ces collections, en particulier celles de grande taille, deviennent des instruments de pouvoir ou de transactions économiques. Les « biobanques » ont acquis une valeur croissante, une valeur intellectuelle certes, mais qui est évidemment une source potentielle de gain financier. Il est intéressant de noter que les biobanques sont un exemple particulier de Centres de Ressources Biologiques (CRB), qui ont été définies par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), laquelle en a publié un code de bonnes pratiques en 2007.
Bien que ces collections visent à l’accroissement des connaissances scientifiques et à un progrès pour l’humanité, elles engendrent des préoccupations dans la population, et bien au-delà des limites de nos frontières. Elles sont, en effet, l’objet de nombreux débats lors de forums mondiaux consacrés à la bioéthique, notamment quant au nécessaire respect d’un équilibre entre la nécessité d’une réglementation et celle d’une certaine liberté pour ne pas entraver le progrès scientifique et médical. Outre le fait que l’intérêt d’une collection d’échantillons biologiques est infiniment plus grand que la somme de ceux de ses éléments, la permanence et la longévité de leur conservation est garante d’une applicabilité aux progrès incessants des connaissances et des techniques. Mais il n’est un secret pour personne que la science et la médecine ne sont pas les seules institutions sociales à s’intéresser à la collecte de données relatives au profil génétique des individus associées aux échantillons biologiques conservés. Le risque en est l’atteinte à la vie privée, et bien sûr celui de la discrimination.
Traduire l’ensemble des considérations éthiques dans le droit implique une réorganisation du cadre juridique concernant les biothèques et les bases de données qui doivent, par exemple, se voir attribuer un statut explicite. La supervision du système doit être mise entre les mains d’une autorité de régulation, dont le mot clé doit être la transparence.

Encadré 2 : Les cellules HeLa, un cas emblématique de conservation de matériel biologique humain

En 1951 à Baltimore aux États-Unis, des chercheurs ont prélevé des cellules de la tumeur du col utérin d’une jeune femme noire et pauvre, sans qu’elle ait donné son consentement et peu avant son décès. Ce furent les premières cellules humaines qui purent être maintenues en culture de façon permanente. Dénommées HeLa (de l’adjonction des deux premières lettres du prénom et du nom de la jeune femme), ces cellules ont ensuite été étudiées, et le sont toujours, dans des milliers de laboratoires du monde entier. Elles ont contribué à élucider nombre de mécanismes moléculaires et génétiques de la carcinogenèse, ainsi qu’une myriade d’autres phénomènes biologiques. Elles ont même permis la production de produits biologiques, tels que certains vaccins contre la poliomyélite. Découvrant incidemment l’existence de ces cellules immortalisées de leur parente, des membres de la famille s’étaient émus de n’avoir jamais reçu ni explication ni information.
Récemment, la publication par plusieurs équipes de la séquence d’ADN du génome de ces cellules HeLa, probablement considérées par les chercheurs comme patrimoine commun, a soulevé la question de la diffusion publique d’éléments génétiques privés concernant la descendance de la jeune femme. Une négociation a eu lieu entre la direction des instituts nationaux de la santé américains (NIH) et des membres de cette famille, qui a abouti à l’élaboration d’un cadre pour le partage de la séquence du génome de ces cellules HeLa (« Biospecimen policy : Family matters », un commentaire de Kathy Hudson et Francis Collins publié dans la revue Nature du 8 août 2013). Cela vient à l’appui de l’émotion manifestée par Francis Collins, directeur des NIHs, lors de la double publication de cette séquence : « Cette situation (créée par le séquençage de l’ADN) des cellules HeLa nous montre vraiment que notre politique (éthique) est à la traîne de plusieurs années et peut-être de plusieurs décennies derrière la science… Il est temps de se rattraper. »

Annexe 1 : Législation en vigueur concernant la durée de conservation des échantillons biologiques

L’arrêté du 26 novembre 1999 relatif à la bonne exécution des analyses de biologie médicale (modifié par l’arrêté du 26 avril 2002) fixe les durées de conservation des échantillons biologiques après analyse :
Marqueurs tumoraux : 1 an.
Sérologie bactérienne : 1 an.
Sérologie virale : 1 an.
Sérologie parasitaire : 1 an.
Biologie moléculaire (mycobactéries, VHB, VHC, Chlamydia, VIH) : 1 an.
Diagnostic prénatal : 1 an pour le dosage des marqueurs sériques de la trisomie 21 fœtale dans le sang maternel ; 3 ans pour le diagnostic des embryofœtopathies infectieuses.
Concernant les prélèvements en anatomie et cytologie pathologique, l’article R6211 44 du Code de la santé publique indique que « les blocs d’inclusion et documents microscopiques histopathologiques et les documents microscopiques cytopathologiques ayant permis d’établir un diagnostic, que celui-ci ait fait ou non apparaître une pathologie » doivent être conservés dix ans. Cet article ne concerne toutefois que les médecins exerçant au sein des laboratoires privés d’analyse de biologie médicale.
Il n’existe pas de texte réglementaire définissant la durée de conservation des prélèvements en anatomie et cytologie pathologiques effectués dans les structures hospitalières. Dans la pratique, ces prélèvements sont généralement considérés comme faisant partie du dossier médical et devant par conséquent être conservés pour une durée équivalente à celle de ce dossier telle que définie par les textes en vigueur[1].

[1] Il convient néanmoins de mentionner que la cour administrative de Paris a jugé le 13 février 2008 que le matériel biologique d’un patient ne faisait pas partie des éléments pouvant être remis à sa veuve dans le cadre de la communication d’un dossier médical (arrêt n° 07PA01917).

Annexe 2 : Législation en vigueur concernant les fichiers de données à caractère personnel ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé

En France, les fichiers de données à caractère personnel ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé sont soumis à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Selon les objectifs de leur utilisation, ils doivent faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL[1] ou d’une autorisation de celle-ci. La loi impose également que soient prises « toutes précautions utiles (…) pour préserver la sécurité des données, et notamment, empêcher qu’elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès ».
La loi Informatique et libertés énonce les droits des personnes à respecter lors du recueil de données à caractère personnel : « Les personnes auprès desquelles sont recueillies des données à caractère personnel ou à propos desquelles de telles données sont transmises sont, avant le début du traitement de ces données, individuellement informées :
1° de la nature des informations transmises ;
2° de la finalité du traitement de données ;
3° des personnes physiques ou morales destinataires des données ;
4° de leur droit d’accès et de rectification ;
5° de leur droit d’opposition (à la levée du secret professionnel, au traitement des données après leur décès) et de l’obligation de recueillir leur consentement. »
Enfin, elle stipule les conditions à respecter pour le transfert des données à caractère personnel associées aux collections d’échantillons biologiques :
« - La transmission ne peut être effectuée que par le professionnel de santé détenteur des données ;
- Elle doit se faire dans le respect du secret professionnel et être limitée aux besoins de la recherche faisant l’objet du contrat de transmission ;
- Les personnes concernées par les données transmises doivent être individuellement informées avant le début du traitement des données.
- Lorsque les données transmises permettent l’identification des personnes, elles doivent être codées avant leur transmission[2]. »

[1] Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés.

[2] Des dérogations à l’obligation de codage des données existent :
- lorsque le traitement des données est associé à des études de pharmacovigilance ou à des protocoles de recherche réalisés dans le cadre d’études coopératives nationales ou internationales ; - lorsqu’une particularité de la recherche l’exige.

Notes

  • 1. Sur le terme de « biobanques », voir encadré 1.
  • 2. Art. L1243-3 du Code de la santé publique.
  • 3. Art. L1243-4 du Code de la santé publique.
  • 4. Art. L1211-2 du Code de la santé publique.
  • 5. Ibid.
  • 6. Ibid.
  • 7. Ibid.
  • 8. Ibid.
  • 9. Art. 16-10 du Code civil.
  • 10. La médecine personnalisée du cancer consiste à traiter chaque patient de façon individualisée en fonction des spécificités génétiques et biologiques de sa tumeur.
  • 11. Un groupe de travail de l’American College of Medical Genetics and Genomics (ACMG) a récemment publié des recommandations en faveur d’une information systématique des personnes pour lesquelles des analyses génétiques ou exomiques ont mis en évidence de façon incidente un certain nombre de mutations (qui sont listées), y compris si la personne a exprimé son refus de recevoir une telle information. Green RC, Berg JS, Grody WW et al. “ACMG recommendations for reporting of incidental findings in clinical exome and genome sequencing”. Genet Med 2013;15(7):565-74.
  • 12. Gymrek M., McGuire A. L., Golan D. et al. Identifying Personal Genomes by Surname Inference. Science 2013;339:321-324.
  • 13. Rodriguez L. L., Brooks L. D., Greenberg J. H., Green E. D. The Complexities of Genomic Identifiability. Science 2013;339:275-276.
  • 14. Voir encadré 2.