Avis n°5

du 13 octobre 2009
Quelle information sur les risques génétiques doit-on donner à la parentèle ?

Avec le développement de la génétique et le recours de plus en plus fréquent, dans le contexte médical, à des tests génétiques à des fins de diagnostic ou d’identification de prédispositions à des maladies graves, la question se pose de plus en plus souvent de savoir quelle information doit être donnée à la parentèle d’un patient pour lequel on dispose du résultat d’un test génétique. De surcroît, s’il y a lieu, selon quelles modalités cette information doit-elle être délivrée afin de respecter tout à la fois le patient, le secret médical mais aussi l’intérêt de la parentèle de ce patient ?
L’avis du Comité éthique et cancer est sollicité pour éclairer le débat sur cette question dans le contexte de la révision de la loi de bioéthique de 2004.


 

Le Comité éthique et cancer convient dans un premier temps de définir le contexte actuel d’utilisation des tests génétiques et de la réglementation de l’information de la parentèle. Plusieurs types de tests peuvent être définis :
– les tests à visée diagnostique d’une maladie à caractère génétique ;
– les tests présymptomatiques, qui permettent de détecter une anomalie génétique associée à un risque très élevé, voire certain, de survenue d’une maladie génétique ;
– les tests de prédisposition (ou de susceptibilité), qui sont en mesure de déterminer la présence d’une mutation génétique pouvant être associée à une maladie, mais avec un risque modéré ou faible et dans un contexte de nombreux autres déterminants possibles ;
– les tests évaluant un risque pour la descendance chez une personne portant un facteur génétique d’une maladie dont elle n’est pas atteinte elle-même.

Le Comité éthique et cancer considère que la question de l’information de la parentèle concerne en priorité les tests à visée diagnostique, d’une part, et la détection d’une maladie génétique à risque élevé dans le cas d’affections graves pour lesquelles on dispose d’une thérapeutique, d’autre part.

MODALITÉS D’INFORMATION

L’utilisation de ces tests est réglementée dans le cadre de la loi dite « de bioéthique » du 6 août 2004, qui est actuellement en cours de révision et qui est inscrite principalement dans le Code de la santé publique. Cette loi prévoit jusqu’à présent que l’information des apparentés d’une personne pour laquelle le résultat d’un test génétique est disponible puisse intervenir en cas de diagnostic d’une maladie génétique grave et lorsque des mesures de prévention ou de soins peuvent être mises en œuvre. Deux modalités d’information sont définies :
– La procédure de droit commun, qui consiste en ce que la personne pour laquelle un test génétique indique le diagnostic ou le risque de survenue d’une maladie informe elle-même les membres de sa famille susceptibles d’être concernés par cette même maladie. L’information communiquée est résumée dans un document signé et remis par le médecin à la personne concernée, qui atteste de cette remise.
– La procédure d’information à caractère familial, qui vise à être mise en œuvre lorsque la personne sujet du test génétique initial ne souhaite pas informer directement ses apparentés ou n’est pas en mesure de le faire. Le recours à cette procédure suppose le consentement de la personne. Elle prévoit que celle-ci communique la liste et les coordonnées des apparentés susceptibles d’être concernés au médecin prescripteur du test, ce dernier devant la transmettre à l’Agence de la biomédecine. Celle-ci doit alors effectuer la démarche d’information des apparentés par le biais d’un ou de plusieurs médecins. En pratique, cette procédure n’a jamais été mise en œuvre, les décrets d’application n’ayant pas été publiés jusqu’à présent, en raison de difficultés d’ordre juridique et pratique.
Dans le cadre de la préparation de la révision de la loi de bioéthique, plusieurs avis ont été émis sur la question de l’information de la parentèle du résultat d’un test génétique, en particulier l’avis de l’Agence de la biomédecine d’octobre 2008[1] et celui du Conseil d’État de mai 2009[2]. Ces deux instances préconisent des modifications substantielles de la loi du 6 août 2004 sur ce point :
– Dans son avis, l’Agence de biomédecine suggère que, en lieu et place de la procédure d’information à caractère familial, la loi prévoit que « le médecin, de manière tout à fait exceptionnelle et, dès lors que le patient le souhaite, peut informer les membres de la famille en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave susceptible de mesures de prévention ou de soins. Cette possibilité renvoie au dialogue approfondi entre le médecin et le patient, avec un temps nécessaire à la réflexion du patient ».
– De son côté, le Conseil d’État préconise dans un premier temps que l’information directe des apparentés par la personne concernée par le résultat d’un test génétique soit davantage accompagnée par le médecin prescripteur, et notamment que la transmission de l’information soit envisagée et préparée avant même la réalisation du test. Le Conseil d’État suggère que les modalités de cet accompagnement soient précisées par la loi. En cas d’impossibilité pour la personne concernée d’informer directement ses apparentés, et si elle consent à cette information, le Conseil d’État évoque la possibilité d’un courrier envoyé par le médecin prescripteur aux apparentés ou à leur médecin traitant. Il précise alors que « la dérogation au secret médical qui en résulte serait limitée au strict nécessaire : l’information transmise devrait en effet préserver à la fois le souhait de la personne pour laquelle a été réalisé l’examen de ne pas être identifiée, et le droit des apparentés de ne pas savoir ». Enfin, le Conseil d’État préconise de ne pas « autoriser le médecin généticien à lever le secret médical en cas de refus de la personne concernée de transmettre ces informations », précisant que dans ce cas ce sont les principes de droit commun de la responsabilité civile qui s’appliqueront.

RECHERCHE DU CONSENTEMENT

Après délibération, le Comité éthique et cancer convient que les préconisations de l’Agence de la biomédecine et du Conseil d’État constituent des évolutions souhaitables. Il revient en effet, à l’égard de l’information des apparentés, de concilier deux principes essentiels : d’une part, le maintien du lien de loyauté entre le patient et son médecin ; d’autre part, la nécessité d’informer les apparentés afin qu’ils puissent prendre les mesures nécessaires face à un risque susceptible de les menacer. Sachant que les refus obstinés de transmettre ce type d’information sont et seront vraisemblablement exceptionnels, il importe avant tout que le médecin prescripteur d’un test génétique assure pleinement un rôle d’accompagnement et d’aide de la personne concernée en premier lieu par le test dans l’information à donner à ses apparentés. Pour le comité, la question de l’information à la parentèle doit ainsi être préparée bien en amont de l’obtention du résultat du test, à la fois dans le consentement de la personne à donner cette information et dans les modalités de sa transmission. Cet accompagnement et cette aide doivent intervenir dans le cadre du colloque singulier entre le médecin et son patient, et se poursuivre une fois le résultat du test obtenu. L’information à fournir étant délicate et sensible, il convient notamment de déculpabiliser le patient à l’égard d’un possible sentiment de responsabilité quant à la transmission d’une anomalie génétique potentiellement grave à ses descendants. Au contraire, en communiquant cette information, il les prévient d’un risque qu’ils ignoraient jusqu’à présent et contre lequel ils peuvent se prémunir et/ou se préparer.
Si besoin, le comité considère que le médecin prescripteur du test peut lui-même participer à l’information des apparentés, par exemple sous la forme d’un courrier accompagnant la démarche du patient envers les membres de sa famille, courrier dont les termes devront obtenir le consentement du patient. Lorsque le médecin participe, d’une manière ou d’une autre, à l’information des apparentés, il est essentiel que soit respectée leur possible volonté de ne pas savoir. L’information transmise doit donc préciser de façon explicite aux apparentés qu’ils ont le droit ne pas vouloir en prendre connaissance.
En cas de refus de la part du patient de communiquer l’information de quelque manière que ce soit, le comité estime que cela ne justifie pas de prévoir une possibilité, même à titre exceptionnel, de levée du secret professionnel de la part du médecin prescripteur. Une telle levée du secret médical constituerait une rupture du lien de confiance entre le patient et son médecin, alors que la persistance de ce lien est ce qui peut justement contribuer à finalement obtenir le consentement du patient à informer ses apparentés.

CONCLUSIONS

Au final, le Comité éthique et cancer estime que la révision de la loi de bioéthique doit conduire à inscrire explicitement dans celle-ci la participation du médecin prescripteur à l’information des apparentés, selon les modalités préconisées ci-avant.
Le Comité éthique et cancer s’est également intéressé à la situation des enfants mineurs dont l’un des parents serait atteint d’une maladie à dominance génétique ou d’une anomalie associée à un risque de maladie grave. Si celle-ci est à survenue tardive, il revient à ce parent, avec ou sans le soutien de son conjoint, de décider d’informer leur(s) enfant(s) au moment qu’il lui ou leur paraîtra le plus opportun. Lorsque le parent malade est décédé, c’est au conjoint que revient la responsabilité de cette décision. Dans tous les cas, le médecin intervenant auprès du parent malade doit accompagner cette décision. Si la maladie concernée est à survenue précoce, pouvant toucher dans un délai relativement court le ou les enfants du parent malade, là encore c’est aux parents de prendre les décisions qui s’imposent, avec l’aide de leur médecin.

 

1. Agence de la biomédecine, Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, Rapport à la ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, octobre 2008 (voir annexe n°1).

[2]. Conseil d’État, La Révision des lois de bioéthique, mai 2009 (voir annexe n°2).

Information de la parentèle (L.1131-1) in Agence de biomédecine, Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, Rapport à la ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la vie associative, octobre 2008, p.66.

Si le patient est seul maître de l’information le concernant en vertu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (L.1110-4 et L.1111-2), la loi de bioéthique de 2004 introduit les modalités de l’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave diagnostiquée lors de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne : cette personne, ou son représentant légal, impliquée dans ce diagnostic doit être informée « des risques que son silence ferait courir aux membres de la famille potentiellement concernés dès lors que des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées à ceux-ci ». Le responsable de cette information est le médecin prescripteur qui a l’obligation de délivrer un document adapté et explicite sur les conséquences que l’absence d’information sur le risque familial aurait pour les apparentés.
Le législateur n’a pas retenu la proposition de certains parlementaires de permettre au médecin généticien d’informer la parentèle du malade, en cas de refus de la part de celui-ci, lorsqu’une maladie génétique grave, à risque vital à court terme pouvant être supprimé ou corrigé par un traitement médical simple est détectée.
La loi prévoit par ailleurs que la personne peut choisir de ne pas informer directement ses apparentés à risque et préférer « la procédure de l’information médicale à caractère familial ». Pour ce faire, la loi précise que le patient communique à son médecin le nom et l’adresse des personnes de sa famille en précisant le lien de parenté. Ce médecin transmet à l’Agence de la biomédecine ces informations, à charge pour l’Agence, par l’intermédiaire d’un de ses médecins, d’avertir lesdits membres de l’existence d’une « information médicale à caractère familial susceptible de les concerner » et les modalités leur permettant d’y accéder.
Une personne qui refuse d’informer ses apparentés n’est pas juridiquement responsable.
Un décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL doit préciser les modalités pratiques de cette information. Ce décret n’étant pas paru, la loi ne s’applique pas.

Proposition de rédaction de l’article L.1131-1 du code de la santé publique in La Révision des lois de bioéthique, Les études du Conseil d’État, mai 2009, p.60.

I - L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par empreintes sont régis par les dispositions du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code civil et par les dispositions du présent titre, sans préjudice des dispositions du titre II du présent livre.
Toutefois, lorsqu’il est impossible de recueillir le consentement de cette personne ou, le cas échéant, de consulter la personne de confiance mentionnée à l’article L.1111-6, la famille, ou à défaut, l’un de ses proches, l’examen ou l’identification peuvent être entrepris à des fins médicales, dans l’intérêt de la personne.

II – Préalablement à la réalisation de l’examen, le médecin prescripteur informe la personne ou, le cas échéant, son représentant légal, des risques qu’un silence à l’égard des apparentés potentiellement concernés leur ferait courir si une anomalie génétique grave était détectée et que des mesures de prévention ou de soins pouvaient leur être proposées. [Le médecin prescripteur prévoit avec la personne ou, la cas échéant, son représentant légal, les modalités de l’information destinée aux apparentés potentiellement concernés, afin d’en préparer l’éventuelle transmission.]

III - [En cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave, posé lors de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne, l’information communiquée est résumée dans un document signé et remis par le médecin à la personne concernée ou, le cas échéant, à son représentant légal, qui atteste de cette remise.] sous réserve des dispositions du IV du présent article, la personne concernée ou, le cas échéant, son représentant légal, est tenue d’informer directement les apparentés potentiellement concernés dont elle possède ou peut obtenir les coordonnées, dès lors que des mesures de prévention ou de soins peuvent leur être proposées.

IV – En cas d’impossibilité ou de difficulté à communiquer l’information aux apparentés potentiellement concernés ou à certains d’entre eux, le médecin prescripteur est habilité à informer ceux-ci, après avoir recueilli le consentement de la personne concernée ou, le cas échéant, de son représentant légal. [La personne concernée, ou son  représentant légal, indique alors au médecin les coordonnées des apparentés qu’elle possède ou peut obtenir et, le cas échéant, celles de leur médecin traitant.] La lettre envoyée par le médecin prescripteur auxdits apparentés ou à leur médecin traitant porte à leur connaissance l’existence d’une information médical à caractère familial susceptible de les concerner, ou de concerner leur patient, sans dévoiler ni le nom de la personne ayant réalisé l’examen, ni l’anomalie génétique et le risque qui lui est associé. Ce courrier leur précise que des mesures de prévention ou de soins pourraient, le cas échéant, être mises en œuvre et leur recommande de se rendre à une consultation génétique si elles le souhaitent.

V – L’obligation d’information à la charge du médecin prescripteur est satisfaite par la délivrance à la personne concernée ou, le cas échéant, à son représentant légal, du document d’information mentionné au III. Dans les situations d’impossibilité ou de difficulté avérée pour la personne concernée mentionnée au IV, l’obligation du médecin prescripteur est satisfaite par la transmission de l’information aux apparentés potentiellement concernés, si la personne ayant réalisé le test ou, le cas échéant, son représentant légal l’y a habilité, dans les conditions définies à cet alinéa.

VI – Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L.1111-2 et à l’article L.1111-7, seul le médecin prescripteur de l’examen des caractéristiques génétiques est habilité à communiquer les résultats de cet examen à la personne concernée ou, le cas échéant, aux personnes mentionnées au I du présent article.