Avis n°9

du 31 mai 2010
Comment concilier la demande d’espoir des patients en situation métastatique (et de leurs proches) avec l’absence de résultats des traitements ? Doit-on prendre en compte l’aspect économique de ces traitements ?

Un homme de 58 ans atteint d’un cancer du poumon localement avancé est pris en charge par un nouveau médecin, alors qu’il a déjà reçu trois lignes de chimiothérapie sans efficacité et qu’il a présenté une progression cérébrale et osseuse. Une quatrième ligne de chimiothérapie est engagée, qui ne présente pas plus d’efficacité, tandis que des douleurs sternales apparaissent. Malgré tout, l’état général de ce patient reste plutôt bon et une radiothérapie de l’encéphale total a permis de contrôler les symptômes cérébraux. Au cours d’une consultation avec cet homme et son épouse, le médecin propose une irradiation de la zone douloureuse, mais indique qu’il ne lui paraît pas souhaitable de débuter une nouvelle chimiothérapie, compte tenu d’une balance bénéfice/risque vraisemblablement défavorable, la maladie étant visiblement chimiorésistante.
Quelques jours plus tard, l’épouse de cet homme contacte le médecin en reprochant à ce dernier d’avoir “anéanti” son mari et en contestant son analyse de la situation. Un nouveau rendez-vous est pris, au cours duquel l’homme et son épouse réfutent les arguments du médecin et considèrent qu’il est indispensable de poursuivre le traitement par chimiothérapie.
Le médecin sollicite l’avis du comité éthique et cancer pour savoir quelle est la bonne attitude à adopter sur le plan éthique dans ce type de situation. La question posée est notamment de savoir comment concilier le respect de l’autonomie du patient et l’affirmation de la position du médecin, fondée à la fois sur son expérience et sur des arguments scientifiques. Par-delà, comment le médecin peut-il préserver une relation de confiance avec le patient dans ce contexte et quelle est la bonne attitude à adopter pour répondre à la quête d’espoir qui en définitive sous-tend la demande du patient ? Enfin, faut-il prendre en compte les aspects économiques – en l’occurrence le coût d’un traitement dont le médecin pense qu’il sera inutile, voire néfaste – dans la décision ?


 

Les médecins cancérologues et les équipes soignantes sont régulièrement confrontés à des situations de ce type. Les progrès réalisés sur le plan thérapeutique et du soin en général font qu’un nombre croissant de patients ne ressentent pas (ou peu) physiquement les effets de la maladie, alors même que celle-ci évolue, y compris quand elle se situe hors de toute portée curative. Il en résulte une discordance entre la réalité vécue par le malade et celle perçue par le médecin, qui place le patient et son entourage en situation d’incompréhension, et le soignant en difficulté pour expliquer et justifier son discours et ses propositions. Cette discordance peut de surcroît être amplifiée par les discours qui traversent la société et qui tendent à faire croire à une toute-puissance de la médecine, ce qui ne correspond pas exactement, en dépit des progrès constants et patents, à la réalité. Dans le cas présent, la difficulté est accrue par le fait que le médecin a remplacé un confrère au cours de la prise en charge du patient, ce qui rend plus ardue la construction d’une relation empreinte de réciprocité et de confiance[1].

AUTONOMIE N’EST PAS AUTODÉTERMINATION

Face à cette situation, le comité éthique et cancer estime tout d’abord que le respect de l’autonomie du patient est un principe intangible. Pour autant, autonomie ne signifie pas que le patient puisse tout demander au médecin, et encore moins que ce dernier n’intervienne autrement qu’en satisfaisant la demande[2]. Autonomie n’est pas autodétermination. Une telle attitude constituerait une rupture totale de la relation entre le médecin et le malade, car ce n’est là ni le rôle ni la responsabilité du médecin. De surcroît, ce n’est vraisemblablement pas l’attente des patients. En situation de difficulté, personne n’attend d’un interlocuteur qu’il abonde systématiquement en son sens, car cela signifie qu’en définitive aucune aide n’est véritablement possible. Respecter l’autonomie d’un patient consiste au contraire à éclairer celui-ci autant qu’il soit possible. Cela suppose un discours conforme aux connaissances médicales, sachant que l’énoncé de ces connaissances se doit de ménager le patient et son entourage, afin qu’ils puissent les comprendre, à défaut de parvenir à les accepter.

AIDER À ENTENDRE LA RÉALITÉ

Les membres du Comité soulignent combien il est normal et légitime qu’un patient et son entourage auxquels on annonce que la maladie n’est pas guérissable et va emporter le patient réagissent par le déni, le refus et/ou la colère. Ce sont des réactions qui vont de soi, et ce quelle que soit la qualité de la relation avec le médecin et des soins que celui-ci a prodigués jusqu’à présent. Cependant, la souffrance est peu accessible à l’explication, elle ne guide pas celui qui y est confronté. Dans la tempête émotionnelle que traverse le patient, le médecin se doit de ne pas se perdre dans la souffrance de celui-ci, mais bien au contraire se dresser comme celui qui, par la lumière de la science, est là pour aider à entendre la réalité, aussi difficile soit-elle. Dès lors, l’attitude du médecin doit être avant tout portée par les questions médicales que pose la situation du patient. Il importe donc que la position du médecin soit la plus étayée possible et soit exposée clairement au patient. Car c’est dans la discussion, aussi difficile et longue qu’elle puisse être, que le médecin peut sortir de la confrontation et de l’opposition du patient. Cette discussion ne doit pas éluder les incertitudes et les doutes éprouvés par le médecin, car ceux-ci participent de l’éclairage du patient. Elle doit aussi viser à explorer les arguments du patient et à lui faire exprimer les raisons de son discours. Par ce cheminement partagé[3], le médecin et le patient sont ainsi susceptibles de réussir à distinguer ce qui est raisonnable de ce qui ne l’est pas[4], et à s’engager sur un objectif commun. Pour y parvenir, le médecin peut également s’appuyer sur la teneur de ce qui a été dit au cours des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) concernant le dossier du patient, et inviter ce dernier à demander un avis auprès d’un autre confrère.

CONCLUSIONS

En définitive, le comité éthique et cancer estime que l’attitude du médecin doit avant tout rassurer le patient sur la continuité du soin, même lorsque la chimiothérapie est arrêtée. C’est certainement ce que le patient a le plus besoin d’entendre, étant donné qu’en son for intérieur il sait sa situation, même s’il n’est pas en mesure de se l’entendre dire et encore moins de l’accepter. Le Comité rappelle ainsi que le but du soin n’est pas la survie, mais d’accompagner la vie. C’est la responsabilité première du médecin et c’est cet accompagnement dont il faut apporter la garantie au patient.
Concernant la question relative au coût des traitements, le comité éthique et cancer entend bien que cette question, dans le cadre du système de santé et d’assurance maladie existant en France, n’a strictement aucune signification pour le patient et son entourage, et qu’elle ne peut leur être évoquée. Cependant, dès lors que le médecin est persuadé qu’un traitement sera inefficace, voire qu’il pourra nuire, il ne peut totalement éluder cet aspect, non pas tant sur le plan strictement économique, mais pour préserver l’égalité entre les patients. Il est en effet aussi de la responsabilité éthique des professionnels de santé que les soins soient utilisés de manière optimale pour tous les malades.

[1]. En oncologie, peut-être plus que pour toute autre spécialité, la notion “d’oncologue référent” est essentielle. Pour le malade, l’entrée dans la maladie s’est faite “avec lui”, au travers de “l’annonce” aussitôt contrebalancée par “l’espoir” des traitements spécifiques. C’est à ce moment-là que s’établit le pacte de soin basé sur la confiance qui nécessite, pour reprendre les propos de Paul Ricœur, une double condition : « L’engagement du médecin à suivre son patient, et celui du patient à se conduire comme l’agent de son propre traitement. » Ricœur Paul, « Les trois niveaux du jugement médical », Esprit 1996 n° 227, p. 21-33.

[2]. La loi mentionne le droit du patient “à refuser tout traitement”, mais aucunement à demander tout traitement.

[3]. Ce cheminement basé sur une éthique de la discussion est fondamental et illustre clairement ce que devrait être le mode opératoire de la loi (Art. L. 1111-4 du Code de la santé publique) : « Toute personne prend avec le professionnel de santé, et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions qui concernent sa santé. »

[4]. L’obstination déraisonnable est définie comme le fait de refuser de reconnaître qu’un homme est voué à la mort et qu’il n’est pas curable et désigne l’attitude des médecins qui utilisent systématiquement tous les moyens médicaux pour garder une personne en vie de manière inutile et disproportionnée sans réflexion éthique sur la notion de bénéfices/risques acceptable. « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris (Art. L. 1110-5 du code de santé publique amendé par la loi du 22 avril 2005) ». Le code de déontologie et le code de santé publique ne font pas mention de l’acharnement thérapeutique auxquels ils préfèrent le terme d’obstination déraisonnable.

Art. L. 1110-5 du Code de la santé publique

Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.
(L. n° 2005-370 du 22 avr. 2005) « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10.[1] »

[1]. Art L. 1110-10 du Code de la santé publique : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »

Art. L. 1111-4 du Code de la santé publique

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. »