Point de vue
01/12/2013

Essais cliniques : principes éthiques et réalités de terrain

Anne-Laure Martin, directrice de la recherche clinique et translationnelle à Unicancer

Les essais cliniques sont le moteur de l’innovation thérapeutique. Depuis 1988 et la première loi sur la recherche biomédicale, l’encadrement réglementaire et éthique des essais a été considérablement renforcé, notamment pour préserver les droits des malades. L’augmentation de la participation des patients atteints de cancer dans les essais cliniques constitue une priorité des Plans cancer successifs. Comment atteindre cet objectif et quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain ? Anne-Laure Martin, directrice de la recherche clinique et translationnelle à Unicancer, dresse le panorama de la situation actuelle du point de vue du promoteur.

Propos recueillis par Franck Fontenay

Éthique & Cancer : Quels sont les principaux fantasmes concernant les essais cliniques ?
Anne-Laure Martin :
L’idée première qui vient à beaucoup de personnes, notamment les patients, est d’assimiler la participation à un essai clinique à la notion d’être un cobaye. C’est une perception ancienne et qui reste encore très présente malheureusement. Elle conduit à l’idée que la personne participant à un essai n’en tirera aucun bénéfice, voire même que cela lui sera préjudiciable. De manière sous-jacente, cette image du cobaye peut conduire à une négation de la pertinence de la recherche. En cancérologie, nous sommes confrontés à une difficulté dans la perception de l’intérêt de la recherche clinique : les délais de réalisation des essais sont souvent très longs avant d’aboutir à des résultats, car notre principal critère d’évaluation reste la durée de vie. De ce fait, la perception de l’intérêt de la recherche est quelque peu brouillée et il est compliqué de créer de l’appétence pour la participation aux essais cliniques. De surcroît, nous sommes confrontés à une forme de tabou : ni les promoteurs ni les médecins ne s’autorisent à communiquer de façon large sur les essais. Ce n’est pas une contrainte réglementaire. C’est davantage lié au Code de déontologie qui interdit à tout médecin de faire sa propre publicité. Il existe donc une forme d’auto-censure de la part des acteurs de la recherche clinique pour ne pas risquer d’être soupçonné de s’auto-promouvoir, voire de se situer dans une démarche mercantile. Résultat, personne n’utilise les outils de communication grand public pour informer sur les essais cliniques. Alors que, dans le même temps, les différents plans cancer insistent – à juste titre – sur la nécessité d’accroître la participation des patients dans les essais cliniques. Je crois qu’il y a là une réflexion à engager, notamment avec le Conseil de l’ordre des médecins, pour lever cette contradiction.

É & C : Quels sont les principes de transparence à respecter par les professionnels de santé dans le cadre de la recherche clinique ?
A-L. M. :
La question de la transparence se pose à différents niveaux. Le premier porte sur l’information des patients lors de la proposition de participation à un essai. Il est indispensable que l’information soit à la fois la plus complète et la plus accessible possible afin que le patient puisse prendre une décision réellement éclairée. Cette information passe notamment par le document écrit remis au patient. Unicancer consulte depuis longtemps le Comité de patients de la Ligue nationale contre le cancer pour s’assurer que les notes d’information sont conformes aux besoins des patients. Il convient notamment, dans ces documents, d’expliciter clairement le parcours de soins et de bien distinguer, d’une part, ce qui relève du soin courant, d’autre part, les examens et les contraintes imposés par l’essai. Il est également nécessaire d’être le plus honnête possible sur les possibles bénéfices et les éventuels risques pour le patient. Ce qui constitue bien souvent un grand écart.

É & C : Qu’entendez-vous par là ?
A-L. M. :
Tout d’abord, le patient n’est pas certain de bénéficier personnellement de sa participation à une recherche. Un essai clinique, c’est avant tout une question que l’on pose à laquelle on tente de répondre le plus objectivement possible. Si nous connaissions la réponse, l’essai ne serait pas nécessaire ! Par conséquent, nous formulons des hypothèses. Aussi rigoureuses soient-elles, ces hypothèses ne garantissent pas une certitude de bénéfice individuel. A l’échelle collective, un essai, même négatif, présente toujours un intérêt. Ce n’est pas forcément le cas individuellement pour les personnes qui y participent. Par ailleurs, tout traitement peut entraîner des effets indésirables. Nous avons le devoir de présenter aux patients, lorsqu’un essai leur est proposé, les toxicités potentielles attendues. Parfois la liste est très longue et peut avoir un effet repoussoir. Le grand écart pour les professionnels de santé, c’est de respecter le principe de transparence, qui est intangible, tout en incitant les patients à entrer dans les essais.

É & C : D’où l’importance du dialogue entre le médecin et le patient lors de la proposition d’essai…
A-L. M. :
La note d’information écrite est un support. L’information orale délivrée par le médecin investigateur lors d’une consultation est déterminante. Mais sur ce plan, nous sommes confrontés à un défaut de formation des professionnels de santé. On observe des disparités énormes selon les centres et les médecins ; certains, qui communiquent sans doute très bien naturellement, ont des taux d’acceptation d’inclusion dans les essais très élevés alors que pour d’autres, les refus sont beaucoup plus nombreux. Globalement, la délivrance de l’information sur les protocoles de recherche est souvent mal maîtrisée. La recherche, dans toutes ses dimensions, n’est en effet pas suffisamment enseignée lors des études médicales. Dès lors, elle ne fait pas réellement partie de la culture des médecins lorsqu’ils entrent en exercice. Cela explique bon nombre des difficultés qu’ils peuvent ensuite rencontrer, notamment par rapport à la délivrance de l’information. Pour le moment, celle-ci repose sur les compétences intrinsèques de chaque médecin. Ce n’est pas suffisant. Le cursus de formation médical devrait davantage intégrer la thématique recherche.

É & C : La transparence sur les résultats des essais pose-t-elle également des difficultés ?
A-L. M. :
La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades stipule que les personnes qui ont participé à un essai sont, à l’issue de ce dernier, informées des résultats globaux obtenus [1]. Si le principe est louable, sa mise en application est en revanche compliquée. Tout d’abord, il se passe souvent plusieurs années entre le moment où un patient a fini un traitement dans un essai et la publication des résultats de celui-ci. Tous les patients n’ont pas forcément envie, une fois qu’ils ont tourné la page de la maladie, d’être confrontés à ce qui fait désormais partie de leur passé. D’autant que, le plus souvent, ces résultats ne leur seront d’aucune utilité pour leur situation individuelle, même s’ils sont toujours malades. Par ailleurs, les promoteurs ne sont jamais en contact direct avec les patients. Ils doivent donc passer par l’intermédiaire des investigateurs pour délivrer cette information. Pour cela, les possibilités sont assez limitées. Il s’agit essentiellement de fournir des documents écrits aux médecins pour qu’ils les remettent eux-mêmes à leurs patients à l’occasion d’une consultation de suivi. Dans certains centres, des expériences ont été menées de délivrance de l’information sur les résultats lors de réunions spécifiquement destinées aux patients. Par le jeu des questions-réponses, cela peut permettre une meilleure compréhension des résultats. Une de nos préoccupations chez Unicancer, c’est que les patients soient informés des résultats globaux d’un essai de façon simultanée ou presque aux communications lors des congrès scientifiques. En cas de médiatisation de résultats, le risque est en effet que les patients en prennent connaissance en dehors de la relation avec leur médecin, ce qui peut être problématique pour l’un comme pour l’autre.

É & C : De quelle manière doit ou devrait être recherché le consentement des patients selon vous ?
A-L. M. :
Les patients atteints de cancer sont aujourd’hui toujours pris en charge par une équipe multidisciplinaire. Lorsqu’un essai est mis en place dans un centre, c’est généralement une équipe de plusieurs professionnels de santé qui est impliquée. Dans certains centres, il existe même des équipes spécialisées sur les protocoles de recherche auxquelles sont adressés les patients susceptibles de participer à un essai. Dans tous les cas, il est bon que la démarche d’information et de recherche du consentement soit elle aussi multidisciplinaire. Le médecin réalise une première délivrance d’information ; pour certains protocoles, ce peut être plusieurs médecins de différentes spécialités qui interviennent sur la partie de l’essai qui les concerne. Le relais est ensuite pris par une infirmière ou un attaché de recherche clinique, qui réexplique, reformule et répond aux questions. Le patient doit alors disposer d’un délai de réflexion, pour réfléchir, discuter avec ses proches, demander d’autres avis. Ce n’est que lors d’une seconde consultation avec le médecin investigateur que le consentement doit être obtenu ou pas.

É & C : Avez-vous mis en place des mesures particulières à Unicancer vis-à-vis de la recherche du consentement ?
A-L. M. :
En tant que promoteur, nous ne pouvons pas interagir directement auprès des patients. En revanche, nous portons une grande attention aux remontées d’information des médecins investigateurs. Lorsque des difficultés se présentent, nous proposons des solutions possibles pour aider les médecins. Pour certains protocoles compliqués ou lorsque nous faisons appel à des réseaux d’investigateurs pas trop aguerris à la recherche, il nous est arrivé de réaliser des simulations, sous forme de jeux de rôle, en faisant intervenir des médecins maîtrisant bien l’information et la communication avec les patients.
Un des grands intérêts des remontées d’information de la part des investigateurs concerne les raisons des refus des patients d’entrer dans tel ou tel essai. C’est très enrichissant dans la mesure où on se rend compte que ces raisons sont à la fois très diverses et souvent différentes de celles auxquelles on s’attendait. Au fil du temps, nous connaissons ainsi de mieux en mieux le point de vue des patients et cela influence directement la construction de nos projets de recherche. Cela nous permet en effet d’anticiper sur les difficultés qu’un protocole pourra éventuellement poser aux patients. Dans certains cas, c’est même la faisabilité d’un projet qui peut être remise en question car nous pressentons qu’en l’état, il ne sera pas acceptable pour les patients.

É & C : Un essai clinique, c’est un espoir pour le patient ou pour la collectivité ? Autrement dit, le bénéfice est-il avant tout individuel ou collectif ?
A-L. M. :
L’honnêteté est de dire que le bénéfice est d’abord collectif puisque les résultats d’un essai, une fois obtenus, serviront la connaissance médicale et l’amélioration des pratiques de prise en charge pour les futurs patients. Néanmoins, la motivation des patients est individuelle dans le sens où, en participant à un essai clinique, ils peuvent accéder à un traitement innovant et espérer en bénéficier.

É & C : Faut-il avoir le sens du sacrifice pour participer à un essai clinique ?
A-L. M. :
En aucune manière ! Sinon, cela signifierait qu’un essai peut être potentiellement délétère pour les patients, ce qui ne serait pas admissible. Les essais ne sont jamais lancés au hasard, ils reposent sur des prérequis solides et étayés, et ils sont très encadrés en terme de risque individuel. Tout essai doit être autorisé par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (Ansm). Celle-ci s’assure notamment que le risque individuel pour les participants n’est pas supérieur à celui du traitement standard dans la pathologie concernée. Par ailleurs, la surveillance des effets indésirables est constante. Chaque essai dispose d’un comité d’experts indépendants qui, en fonction des toxicités observées et consignées, évalue en permanence le rapport bénéfice/risque de la recherche. S’il s’avère que les toxicités sont trop importantes ou qu’il y a une absence de bénéfice pour les patients, l’essai peut être rapidement stoppé, de manière temporaire, si des aménagements sont possibles, ou définitive. Dans tous les cas, tous les garde-fous sont mis en place pour que la participation à un essai ne puisse constituer une perte de chance pour les patients.

É & C : Participer à un essai de phase I signifie-t-il l’abandon du traitement de référence et un ultime recours contre la maladie lié à la gravité de celle-ci ?
A-L. M. :
Un essai de phase I ne peut en aucun cas être envisagé s’il existe une option thérapeutique validée qui peut être proposée au patient. Une attitude contrairement serait inéthique et sanctionnable. Par conséquent, il n’est pas possible de parler d’abandon du traitement de référence. En revanche, il est exact de dire qu’en cancérologie, les essais de phase I concernent essentiellement les patients pour lesquels il y a une absence de recours thérapeutique. Il s’agit généralement de patients en situation de maladie métastatique pour lesquels la perspective d’une guérison n’est plus l’objectif ; la prise en charge vise alors à ralentir l’évolution de la maladie et à atténuer les symptômes autant que possible. Les patients dans cette situation expriment une forte demande à participer à des phases I. Ils voient – à juste titre – ce type d’essai comme l’opportunité d’accéder à un médicament ou un traitement innovant qui va leur donner l’espoir de se replacer dans un objectif de lutte contre la maladie. Car, même si les essais de phase I visent à déterminer la dose optimale d’un médicament, les médecins recherchent quand même l’efficacité pour leurs patients. S’il tel est le cas pendant l’essai, le traitement est poursuivi tant qu’il est bénéfique. Avec les essais de phase I, que ce soit pour les patients ou pour les médecins, nous ne sommes pas dans une situation de renoncement.

É & C : En cancérologie, existent-ils des inégalités d’accès aux essais selon l’âge, le lieu de soins ou le médecin ?
A-L. M. :
Comme je l’ai déjà évoqué, il existe une insuffisance de formation initiale à la recherche dans le cursus médical. Celle-ci est source d’inégalités. Un médecin qui ne maîtrise pas assez la recherche et qui est mal à l’aise pour expliquer un protocole tend à moins inclure. Ses patients ont donc moins de chance d’accéder à des essais. Il existe également des inégalités indéniables en fonction de l’âge, c’est-à-dire pour les enfants et les seniors. Les essais pédiatriques et gériatriques sont plus compliqués à mettre en œuvre et présentent plus de risques pour les promoteurs. Ils sont essentiellement réalisés par des promoteurs académiques comme Unicancer. De fait, les essais s’adressant à ces populations sont moins nombreux et concernent moins de patients. Pourtant, les besoins de recherche et les enjeux en terme de prise en charge sont très importants. Enfin, il existe une inégalité géographique ; tous les centres de prise en charge des patients atteints de cancer ne participent pas à des essais. Or, il n’est pas satisfaisant que la recherche clinique soit concentrée dans une quarantaine de centres d’excellence. C’est l’un des enjeux prioritaire des Plans cancers que d’élargir l’activité de recherche au plus grand nombre possible de centres. Les patients ne sont pas tous mobiles, ils n’ont pas forcément ni la possibilité ni les ressources matérielles et financières pour répondre à toutes les contraintes d’un essai lorsque celui-ci se déroule dans un centre situé à 100 km ou plus de leur domicile. Si l’on souhaite que davantage de malades participent aux essais, il est indispensable d’apporter la recherche à proximité des patients.

[1] Article L1122-1 du Code de la santé publique.