Édito
01/07/2014

La formation à l’éthique est une nécessité

Daniel Oppenheim, psychiatre et psychanalyste

Les médecins disposent de moyens thérapeutiques d’une puissance sans cesse croissante. Une conséquence en est que les malades et les proches acceptent d’autant moins la mort. Ils oscillent entre la revendication de traitements protocolisés et sur-mesure, entre le droit à l’euthanasie et à des traitements sans espoir, entre leur droit de codécider les choix thérapeutiques et d’en laisser la responsabilité aux médecins. De plus, la société française a beaucoup évolué dans ses caractéristiques, ses références idéologiques, culturelles, religieuses, identitaires et ses conditions de vie. La crise sociale et économique augmente pour beaucoup la difficulté d’accéder aux soins et de suivre des traitements longs, éprouvants et coûteux. Cette complexité, ces contraintes et ces tentations contradictoires peuvent provoquer des malentendus, des conflits, des dilemmes éthiques qui usent les patients et les médecins. Les dilemmes éthiques se posent quand il y a contradiction majeure, entre deux traitements dont l’un est réputé plus efficace mais plus dangereux que l’autre, entre le patient et ses proches, entre les intérêts légitimes de celui qui peut mourir et de ceux qui vont vivre, entre l’individu (malade ou médecin) et les autres, entre l’intérêt supposé du malade et les règles médicales ou juridiques… Toutes situations où aucune décision juste n’apparaît et où il faut pourtant décider. Ces situations rendent les médecins moins disponibles au dialogue - parfois tendu -, avec les malades, et moins aptes à la décision, ce qui les fragilise, les fait douter de leur valeur, de leur engagement et de leur vocation.
La formation, initiale et permanente, à l’éthique (à ses repères, sa méthodologie, appuyée par de nombreux exemples de cas) apparaît ainsi nécessaire. La formation théorique et pratique (dans des groupes Balint[1], par exemple) à la psychologie et à la psychopathologie doit en faire partie. Car l’éthique est d’abord une pratique de la relation à l’autre, dans laquelle le praticien est à chaque fois personnellement et intensément engagé, même au sein d’un collectif de soins. Dans ces situations intenses et bouleversantes, il lui faut garder l’empathie envers l’autre et la rigueur de sa réflexion. Ceci nécessite d’être suffisamment au clair avec lui-même et les raisons conscientes et inconscientes de son engagement en médecine et en cancérologie, mais aussi de connaître la diversité psychopathologique des malades et ce qui se joue dans la relation entre médecin et malade, qui n’est pas à sens unique.

[1] Dans un groupe Balint, animé par un psychanalyste formé à cette pratique, une dizaine de soignants se réunissent régulièrement, pendant un an ou deux, et parlent à tour de rôle d’un cas qui leur a posé problème. Ainsi ils peuvent mieux comprendre les causes conscientes et inconscientes de leurs difficultés dans la relation aux patients, aux collègues, à leur métier.