Tribune
01/11/2009

Le législateur français et la bioéthique : retard ou anticipation ?

Claudine Bergoignan Esper, professeur des universités à la faculté de droit Paris-Descartes

La France dispose d’une législation portant sur la bioéthique qui trouve son origine dans un ancien et important travail de réflexion. Périodiquement révisée, cette législation appelle une question. Comment se situe-t-elle par rapport aux avancées de la science ? Est-il possible au législateur d’anticiper sur les progrès médicaux ou au contraire doit-il se contenter d’en prendre acte et de les traiter ?

À la suite de certains désordres apparus dans les hôpitaux de notre pays au début des années 1970, il apparaissait utile de réguler les prélèvements et les greffes d’organes. Le 22 septembre 1976, un premier texte était issu de travaux portant sur cette question, et la loi Caillavet, adoptée par le législateur, voyait le jour. Elle était suivie en 1988 par des réflexions essentielles menées au sein de la section du rapport et des études du Conseil d’État, portant sur les évolutions de la science et la nécessité ou non d’intervenir plus largement au niveau législatif. Ces réflexions associaient juristes, scientifiques, philosophes, représentants des cultes et anthropologues. Le rapport, resté célèbre, était intitulé « De l’éthique au droit ». Il concluait, vu l’ampleur et la multiplication des découvertes scientifiques, à la nécessité d’une vaste intervention législative. La même année, la recherche biomédicale menée sur la personne humaine faisait l’objet d’un texte spécifique approuvé au Parlement.

Encadrement législatif

Après plusieurs années d’amples travaux, d’auditions et de réflexions de toute nature, le législateur français adoptait un ensemble bioéthique fondamental pour le pays, composé de trois lois : la première date du 1er juillet 1994 et porte sur le traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé ; les deux suivantes, les plus importantes, sont datées du 29 juillet 1994. L’une est relative au respect du corps humain et énonce les grands principes. L’autre développe les conditions applicables aux plus grandes avancées scientifiques, c’est-à-dire le don et l’utilisation des produits et éléments du corps humain, l’assistance médicale à la procréation, le diagnostic prénatal, la génétique. Dans ces premiers textes, le législateur encadrait les mutations tant connues que prévisibles, qui modifient les modes d’intervention de la médecine sur l’individu. Il avait pour objectif de trouver le meilleur équilibre entre l’indispensable liberté dont les chercheurs doivent disposer et la protection de la personne humaine face aux avancées de la science. Les grands principes qui guident depuis lors la bioéthique française étaient adoptés : l’affirmation de la primauté de la personne et de la dignité de l’être humain face au progrès médical, l’inviolabilité et l’indisponibilité du corps humain, l’intégrité de l’espèce humaine, la nullité de la maternité de substitution, l’anonymat dans le don d’un élément ou produit du corps. Nul autre pays ne disposait à cette date d’une législation protectrice aussi complète et aboutie.

Une révision périodique de la législation

L’une des caractéristiques de ces lois était un processus de révision au terme de cinq années d’application. Le législateur manifestait par là sa volonté de ne pas laisser la science prendre le pas sur son intervention.
De nouveaux travaux ont donc été entrepris à la fin des années 1990. Un bilan de l’application des textes précédents, des avis demandés aux plus hautes instances françaises, des auditions et des groupes de réflexion ont permis l’écriture, il est vrai avec un certain retard, de textes révisés correspondant aux besoins des avancées scientifiques nouvelles. Le clonage à des fins thérapeutiques, l’usage qui pourrait être fait des embryons surnuméraires, la recherche sur ces embryons et sur les cellules embryonnaires, l’expérimentation de nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation, le transfert post mortem d’embryons, l’élargissement potentiel des donneurs vivants pour une greffe, telles étaient les principales questions alors débattues.
Les grands thèmes de la révision donnaient lieu à une nouvelle loi, celle du 6 août 2004, dix ans après le premier ensemble législatif.

Les travaux les plus récents

Les  autorités compétentes ont lancé dès 2008 divers travaux permettant à nouveau de réviser les textes, le même délai de cinq années ayant été retenu en 2004. Ces derniers mois, l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique, l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, le Conseil d’État, l’Agence de la biomédecine se sont prononcés sur les thèmes posant à nouveau question, liés aux dernières avancées de la science.
Les questions posées à ce jour, largement liées à l’évolution de notre société, sont principalement les suivantes : faut-il lever l’interdiction, avec dérogations exceptionnelles, des recherches sur l’embryon et sur les cellules embryonnaires ? Faut-il ouvrir l’assistance médicale à la procréation à des finalités autres que médicales ? Faut-il envisager de renoncer à l’anonymat dans le don de gamètes ? Faut-il recourir à un don qui ne serait plus gratuit pour les ovocytes ? Faut-il autoriser la gestation pour autrui ? Comment rendre davantage hommage à ceux qui permettent un prélèvement d’organes après leur décès ? En génétique, faut-il lever le secret pour assurer une information de la parentèle sur un diagnostic génétique à lourdes répercussions familiales ?
Face à l’enjeu de telles questions, les pouvoirs publics ont cette fois décidé de recourir à un mode de réflexion totalement innovant en bioéthique. Un décret signé du président de la République le 28 décembre 2008 a mis en place un comité de pilotage placé sous la présidence de Jean Leonetti, devant organiser des états généraux de la bioéthique. Il s’agissait tout à la fois d’informer les citoyens et de recueillir leur opinion sur les thèmes suivants : la recherche sur l’embryon et les cellules-souches embryonnaires, le prélèvement et la greffe d’organes, de tissus et de cellules, l’assistance médicale à la procréation, la médecine prédictive, les diagnostic prénatal et préimplantatoire.
Une démarche originale s’est engagée tout au long des quelques mois qui ont suivi, permettant d’aboutir en juillet 2009 à la remise d’un rapport au président de la République. Un site internet a été mis en place (www.etatsgenerauxdelabioethique.fr), recevant plus de 70 000 visites entre son ouverture, en février 2009, et le terme des états généraux, et permettant le recueil de 1 643 avis. Une série d’événements a été organisée dans toute la France sous l’égide des espaces éthiques en santé en fonction auprès des centres hospitaliers universitaires. Enfin, trois forums régionaux, comprenant des panels de citoyens formés à cet effet, ont été mis en place, aboutissant à des avis particulièrement significatifs, rendus au terme de réflexions et de débats approfondis des participants.

Une nouvelle écriture législative

Le Parlement français, au travers d’une mission d’information, procède à ce jour et depuis plusieurs mois à de nombreuses auditions afin de recueillir toutes les opinions utiles aux prochaines discussions sur la révision des lois. Les années 2010 et probablement 2011 verront à nouveau des débats parlementaires porter sur les évolutions nécessaires en bioéthique.
Grâce aux travaux qui ont été rappelés, toutes les données auront été recueillies sur les progrès de la science, déjà connus ou en gestation. Le législateur français n’est ainsi pas en retard. Par le jeu de l’ensemble des réflexions qui viennent d’être décrites, il appréhende ce qui doit être révisé. Les progrès constatés, les innovations scientifiques prévisibles sont pour lui les fondements à prendre en considération. Il en est un autre qu’il connaît particulièrement bien, et qui consiste en l’évolution des modes de vie et de pensée de nos concitoyens.