Tribune
01/02/2008

La personne de confiance en pratique hospitalière

Marc Dupont, directeur d’hôpital à l’AP-HP

La personne de confiance, instituée par la loi du 4 mars 2002, est apparue comme un nouveau tiers dans la relation médecin-malade. Aujourd’hui sa place et son efficacité peinent pourtant à s’imposer. Si cinq années après la loi, la personne de confiance a tant de mal à devenir une réalité, est-ce à dire qu’il faille en remettre en cause le principe ?

Un avis important du Comité consultatif national d’éthique avait suggéré, en juin 1998, d’introduire dans la loi française un dispositif de mandataire, destiné aux situations dans lesquelles les patients ne peuvent pas ou très difficilement exprimer leurs volontés en matière médicale. C’est ainsi que la loi du 4 mars 2002 a prévu que :
- toute personne majeure peut désigner une personne de confiance, qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant,
- cette personne doit être consultée, en cas de besoin, si la personne qui l’a désignée est hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin,
- cette désignation est faite obligatoirement par écrit, tout en étant révocable à tout moment,
- la personne de confiance est chargée, si le malade le souhaite, de l’accompagner dans ses démarches et de l’assister lors des entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions.
Le texte légal prévoit par ailleurs que la proposition de désigner une personne de confiance doit être faite à toute personne lors de son admission à l’hôpital.

De l’intérêt au scepticisme

Six ans plus tard, et même dans les hôpitaux qui se sont particulièrement engagés sur le sujet, le bilan est maigre. Certes, la promotion de ce dispositif a été particulièrement indigente de la part des pouvoirs publics : beaucoup ignorent encore cette faculté ou ne savent pas bien comment s’y prendre. Par ailleurs, le dispositif lui-même a donné lieu à des appréciations très diverses à l’hôpital, allant du plus vif intérêt, notamment de la part des équipes soignantes et de certains spécialistes médicaux (notamment les gériatres, les réanimateurs, etc.) au scepticisme de certains médecins rétifs à des procédures formalisées, et attachés à gérer intuitivement leurs relations avec les patients et leurs familles.
Pourtant, chacun s’accorde à souligner les difficultés rencontrées quotidiennement par les équipes : comment concilier les exigences contemporaines d’information et de recueil du consentement aux soins avec l’impossibilité à les mettre aujourd’hui concrètement en œuvre pour beaucoup de patients très âgés, affaiblis ou inconscients ?
Une première observation est que nous sommes particulièrement insouciants lorsqu’il s’agit d’envisager les malheurs à venir de notre vie, le vieillissement et son cortège de dépendances et de défaillances, la survenue éventuelle d’un accident ou d’une maladie grave, les circonstances de notre fin de vie. Les dispositifs législatifs s’accumulent, chacun d’entre eux tentant de favoriser l’expression des volontés, pour l’avenir, des personnes en capacité de le faire : la loi permet de faire connaître un éventuel refus de prélèvement, à tout moment, sur un registre national tenu par l’Agence de la biomédecine ; elle permet à toute personne de formuler des directives anticipées sur l’accompagnement et les décisions médicales en fin de vie ; elle prévoit la possibilité de désigner un mandataire de protection future ; depuis peu également, une personne durablement empêchée dans l’usage de ses membres supérieurs par son handicap peut désigner un aidant naturel pour accomplir des gestes liés à ses soins. Tout un éventail de possibilités est ainsi aujourd’hui à disposition… et la procédure de la personne de confiance témoigne, comme les autres, de la difficulté à les mettre en pratique auprès du plus grand nombre, qui préfère éviter de penser à des moments forcément pénibles.
Une seconde observation est que le législateur semble avoir présumé que ce dispositif pouvait aisément devenir une procédure quasi-« citoyenne », effectuée résolument par une majorité de personnes et qu’en entrant à l’hôpital, entre la présentation de la carte Vitale et les autres formalités administratives, les services d’admission allaient pouvoir en routine susciter leur décision  : comment expliquer autrement l’obligation prévue par la loi de proposer la désignation systématique d’une personne de confiance ? À l’expérience, l’exercice est manifestement trop délicat pour être banalisé, encore une fois compte tenu de l’état de la réflexion collective sur ce sujet.

Un interlocuteur incontestable

Pour autant, on observera que malgré les difficultés rencontrées pour faire vivre ce dispositif, des dispositions légales récentes sont venues conforter la mission de la personne de confiance : en matière de recherche biomédicale, où au-delà de sa mission jusqu’alors strictement consultative, la personne de confiance peut désormais être amenée à décider « dans des situations d’urgence qui ne permettent pas de recueillir le consentement préalable de la personne » ; surtout, en matière d’accompagnement de fin de vie, où elle peut avoir un rôle de premier plan, auprès de l’équipe médicale, lorsque des décisions graves sont à prendre, et avant même l’avis de la famille et des proches.
Il est important que cette faculté ouverte aux patients de pouvoir témoigner de leurs volontés par un tiers, qu’ils ont eux-mêmes désignés, demeure et soit bien connue : les équipes soignantes doivent, à défaut de pouvoir dialoguer avec le patient, pouvoir bénéficier d’un interlocuteur incontestable ; les patients doivent pouvoir savoir qu’ils seront accompagnés jusqu’au bout par une personne ayant toute leur confiance. Si un dispositif généralisé et systématique semble pour le moment hors de portée, l’existence d’une procédure juridiquement cadrée peut être de grande utilité dans de nombreuses circonstances de la vie hospitalière.