Avis n°1

du 07 novembre 2008
Secret professionnel et assistance à la famille

Georges B., soigné pour un cancer du poumon dans un établissement de la région parisienne, était âgé de 45 ans lorsque les médecins lui annoncent qu’il est en situation d’échec thérapeutique. Il leur demande alors de n’en rien dire à sa famille. Au sortir de la chambre, ceux-ci sont interpellés par l’épouse du malade, 40 ans, qui exige de connaître la vérité au motif qu’elle a trois enfants en bas âge (6, 8 et 12 ans) et que cette situation rendrait nécessaire pour elle de reprendre une activité professionnelle interrompue depuis huit ans.


 

Cette saisine pose un réel problème éthique, celui d’une confrontation entre deux principes moraux forts : le secret professionnel garant de l’intimité des personnes et base d’une relation de confiance entre le médecin et son malade, d’une part ; l’assistance à une famille en détresse, d’autre part.

Motivations du patient et de l’épouse

Il convient dans un premier temps de s’interroger sur les motivations du mari et de l’épouse, et de l’information dont disposent l’un et l’autre. Concernant le patient, il est vraisemblable qu’il a conscience que ses proches sont au courant, de façon plus ou moins claire, de la gravité de son état de santé. En revanche, il lui est sans doute difficile d’accepter, à partir du moment où l’information sera délivrée à son épouse, d’être dès lors vu comme celui qui va mourir, et non plus comme un mari et un père toujours présent. Sa demande porte donc vraisemblablement le souhait de rester pleinement acteur du temps qui lui reste à vivre avec les siens, et non d’être perçu sous le seul prisme de la maladie et d’une fin prochaine. Elle comporte sans doute également un désir de protection à l’égard de sa famille, de ne pas leur imposer par avance la souffrance d’un deuil annoncé.
Du côté de l’épouse, il est tout aussi vraisemblable qu’elle sait au fond d’elle-même la situation de son mari, compte tenu de ce qu’elle a pu voir et comprendre de l’évolution de la prise en charge et des traitements. Cependant, bien que ne pouvant réellement ignorer la réponse à sa demande, cette femme n’est sans doute pas en mesure de l’accepter par elle-même, d’entrer dans un « deuil anticipé ». Elle a peut-être  psychologiquement besoin de se l’entendre dire par un tiers légitime, en l’occurrence le médecin. Mais surtout, elle a besoin de rompre la barrière de silence érigée par son mari, et d’être soutenue dans les difficultés de la vie au quotidien auxquelles elle est confrontée, avec comme priorité celle de pouvoir assurer la protection matérielle de ses enfants encore en bas âge. Et ces enfants constituent un lien très fort l’unissant à son mari ; ils peuvent aider à rétablir un dialogue de vérité.

Non-dit et dialogue

Face à cette situation, le comité estime de façon consensuelle que les soignants ont une place privilégiée pour tenter de nouer ou de renouer le dialogue entre le mari et son épouse. Non pas en s’immisçant dans l’intimité du couple, ce qui n’est pas leur rôle, mais en créant les conditions qui puissent permettre l’échange d’une vérité, fut-elle très douloureuse, entre ces deux personnes. Il est ainsi recommandé dans un premier temps de discuter avec le patient des motivations profondes de sa demande, en espérant de l’amener à voir, sans culpabilisation, les conséquences de celle-ci pour ses proches. Mais l’épouse n’est-elle pas également bien placée pour rétablir le dialogue en posant les questions qui l’oppressent au sujet de leurs enfants ? L’objectif est de parvenir à rassurer le patient sur le fait que l’énoncé d’une vérité, y compris la vérité d’un futur compromis, n’est pas synonyme d’un arrêt de la relation avec ses proches, mais qu’au contraire, par la confiance dont elle témoigne, elle peut enrichir cette relation et rendre la fin de vie du patient plus sereine. Enfin, le recours à un psychologue peut constituer une aide utile, si le patient l’accepte.
Dans tous les cas, le comité recommande aux soignants d’agir sans précipitation, pour que le patient, comme son épouse, puissent réfléchir et envisager la situation. Cela peut contribuer à favoriser le dialogue entre les deux époux et conduire progressivement le patient à modifier sa position initiale.

Dilemme des soignants

Si malgré ces démarches de médiation, le patient persiste à demander à ce que son épouse ne soit pas informée de sa situation, le dilemme éthique reste entier pour les soignants. À ce stade, le comité n’est pas parvenu à définir un positionnement consensuel sur l’attitude à adopter. Deux points de vue divergents se manifestent :
- Considérant que les proches du patient sont pleinement partie prenante de la prise en charge et que les liens établis entre le soignant et le malade les impliquent de facto, une première position, portée par certains membres du comité, est d’estimer que la priorité se doit d’aller vers « ceux qui vont rester ». Par solidarité envers une mère de famille qui va se retrouver dans la situation de devoir assumer seule son propre avenir et celui de ses enfants, situation qui la contraint à prendre rapidement des dispositions, notamment au regard d’une réinsertion professionnelle, il apparaîtrait alors préférable d’énoncer clairement à l’épouse le devenir probable de son mari. Pour l’un des membres du comité, ne peut-on pas se demander à la lumière du cas de Georges B., dans quelle mesure le non-respect du secret professionnel peut le léser ? Si le médecin décide, en connaissance de cause, de transgresser ce secret, quels seraient donc les risques pour le patient et les bénéfices pour ses proches (question qui a été posée à propos du refus de patients séropositifs de le révéler à leur partenaire), et leur importance respective ? Et quels seraient-ils en cas de respect du secret ? Dans le cas de Georges B., il semble qu’il ne serait pas lésé par la révélation (pas de risque, par exemple, d’exclusion sociale ou familiale), et que la révélation qui semble être plutôt une confirmation n’apparaît pas conflictuelle avec sa relation à ses proches. 
- L’autre approche, à l’inverse, exprimée par la majorité des membres du Comité,  considère qu’il ne convient pas de déroger au principe du respect du secret médical, élément essentiel de la relation entre le médecin et le malade, et de la sorte de manquer à la parole donnée par le premier au second, rompant ainsi leur lien de confiance. D’un point de vue pratique, il est fait observer que le non-respect du secret, dans le cas exposé, va à l’encontre de la volonté clairement exprimée du patient et fait courir le risque d’une rupture du lien de confiance qui pourrait être préjudiciable à toute médiation médicale ultérieure pour aider à la communication, qui paraît souhaitable, entre les époux. Sauf exception prévue par la loi, rien ne peut justifier de ne pas respecter la volonté du patient, quelles que soient ses motivations, sachant que, par définition, la maladie n’appartient jamais plus à quelqu’un qu’au malade lui-même.

Recommandations

Confronté à la rétention volontaire d’information d’un malade envers sa famille, l’équipe soignante se doit toujours de prendre le temps du dialogue, de l’échange confiant, qui a toutes les chances de permettre de rompre le silence volontaire, de rétablir le lien affectif. Si tel n’est pas le cas, il apparaît dans la situation faisant l’objet de la présente saisine que nombreux sont les signes et indications de nature à faire entrevoir la réalité à la famille sans manquer à la parole donnée au malade.
En toute éventualité, l’opinion très majoritaire, quoique non unanime, du comité est que le principe du secret professionnel est à ce point constituant de la relation malade-médecin qu’il ne peut être envisagé de le violer de manière délibérée.

Article L. 1110-4 du code de la santé publique

Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe.
Afin de garantir la confidentialité des informations médicales mentionnées aux alinéas précédents, leur conservation sur support informatique, comme leur transmission par voie électronique entre professionnels, sont soumises à des règles définies par décret en Conseil d’Etat pris après avis public et motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret détermine les cas où l’utilisation de la carte professionnelle de santé mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 161-33 du code de la sécurité sociale est obligatoire.
Le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. (L. n° 2004-810 du 13 août 2004, art. 2-II) « Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à faire délivrer sous sa responsabilité, ces informations. »
Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès.

Article R. 4127-35 du code de la santé publique

Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.
Toutefois, sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-7, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination.
Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite.