Avis n°2

du 08 janvier 2009
Prise en charge informationnelle des parents d'enfants atteints de cancer

Les parents d’un enfant de 16 ans atteint de la maladie de Hodgkin rapportent que leur fils s’est vu administrer un médicament antimitotique (Caelyx) sans que ceux-ci aient été préalablement informés des risques et bénéfices possibles de ce type de traitement qui ne bénéficie pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Les parents ajoutent également que leur fils, en fin de vie, s’est également vu administrer une association Morphine, Rivotril et Hypnovel. Ils estiment que cette thérapeutique était susceptible de provoquer ou d’accélérer la fin de vie et qu’ils n’ont pas été avertis de ces conséquences éventuelles.
Les médecins, alors que la loi les y oblige, peuvent-ils s’exonérer de délivrer aux parents toute information sur les risques et les bénéfices de cette médication ? Plus encore, y a-t-il des raisons légitimes pour ne pas rechercher le consentement libre et éclairé des parents d’un patient mineur ?
Sans préjudice des positions individuelles sur la question de l’euthanasie, de l’accompagnement des personnes en fin de vie, les décisions relèvent-elles de la seule responsabilité médicale ou bien doivent-elles toujours être partagées avec les personnes elles-mêmes ou leurs familles si celles-ci ne peuvent exprimer leur sentiment ?


 

En préambule, il convient de dépasser le cas particulier de cet enfant et de sa famille. Tout d’abord, il ne relève pas des fonctions du comité de tenter d’amoindrir la douleur, voire la colère des parents de cet enfant face à l’épreuve éminemment cruelle qu’ils ont traversée et dont ils continuent de subir les effets. Le rôle du comité est d’interroger, à partir de situations singulières qui lui sont soumises, les questionnements éthiques posés par les personnes qui y sont exposées afin de mieux les comprendre et, par là, d’essayer, par des recommandations appropriées, d’aider les soignants tout autant que les malades et leur entourage à affronter des situations de nature similaire.
Par ailleurs, il n’appartient pas non plus au comité, à partir de la seule description par les parents de ce qui s’est passé pour leur enfant, de statuer sur le caractère adéquat ou non des modalités de prise en charge qui ont été mises en œuvre. Les éléments d’information disponibles sont insuffisants, il conviendrait notamment de connaître les motivations de l’équipe médicale concernée et sur quels éléments celles-ci étaient fondées. Dans tous les cas, le comité n’a pas pour mission d’arbitrer entre les parents et les médecins. Le médecin référent reste l’interlocuteur premier et il est important que malgré les malentendus, les irritations, les colères et les reproches, cette relation puisse être préservée.

INFORMATION DES PARENTS

La saisine pose essentiellement la question de la communication entre l’équipe soignante et les parents d’un enfant malade. Il est évident que le dialogue entre les uns et les autres est absolument indispensable tout au long de la prise en charge. Le défaut d’information ou la rupture du dialogue sont toujours des erreurs préjudiciables. Indéniablement, dans le cas particulier de ces parents, le dialogue n’a pas été satisfaisant, quelles qu’en aient été les causes, et a conduit à une rupture du lien de confiance avec l’équipe soignante. Dans ces conditions, l’échange devient presque impossible, altérant tout le processus de prise en charge.
Cependant, il convient de prendre en considération la situation spécifique de parents dont un enfant est atteint d’une maladie grave et potentiellement mortelle. Cette situation est à proprement parler intolérable. De plus, elle peut conduire le père et la mère à éprouver un fort sentiment de culpabilité vis-à-vis du sort de leur enfant, dont ils se sentent généralement responsables, et ceci perturbe inévitablement la relation de confiance avec l’équipe soignante.
Dans une telle situation, il est de la responsabilité de l’équipe soignante, et plus largement de l’établissement de soins, de s’assurer que non seulement les parents d’enfants malades sont effectivement informés, mais encore que l’information délivrée est comprise et assimilée, ce qui doit amener à tenir compte qu’il existe des moments particuliers où celle-ci ne peut être acceptée et donc entendue.

PRECISIONS SUR L’AMM (AUTORISATION DE MISE SUR LE MARCHE) EN PEDIATRIE

Le comité se doit de préciser que l’utilisation de médicaments en dehors des indications prévues par leur autorisation de mise sur le marché (AMM) respective n’est pas une situation exceptionnelle en cancérologie, en particulier en cancérologie pédiatrique*. En effet, la très grande majorité des médicaments prescrits par les pédiatres oncologues ne disposent pas d’une AMM chez l’enfant. Bien que regrettable, cette situation résulte notamment du faible nombre d’essais cliniques réalisés pour évaluer l’efficacité et la tolérance spécifiques en pédiatrie de produits validés chez l’adulte. À ce titre, comme l’impose la loi, si le médicament est prescrit dans le cadre d’une recherche biomédicale, le consentement écrit doit être demandé au patient (adulte ou enfant doué de discernement) et à ses parents s’il est mineur.

PRECISIONS SUR L’ADMINISTRATION MORPHINE-RIVOTRIL-HYPNOVEL

Il s’avère également nécessaire de préciser que la prescription de l’association Morphine (antalgique) - Rivotril (anti-épileptique utilisé à titre antalgique) - Hypnovel (sédatif) ne s’inscrit pas nécessairement, loin de là, dans une démarche d’euthanasie, plus ou moins consciente et éventuellement assumée. Il existe en effet bien des situations où l’action antalgique, sédative et anxiolytique de ces trois médicaments peut être requise, notamment pour soulager un patient souffrant de douleurs physiques et/ou psychologiques importantes, en dehors de toute intention de la part des soignants de provoquer la fin de vie. Dans tous les cas, si celle-ci survient, ce n’est pas du fait des médicaments mais de la maladie elle-même, quand bien même le décès survient pendant la sédation ou le sommeil provoqué par cette association ou un autre traitement de même type. Il est toutefois requis que leur utilisation soit dictée par des signes tangibles de souffrance et qu’elle suive les recommandations de bonnes pratiques. Dans certains cas de souffrance dite « réfractaire », cest-à-dire ne pouvant être soulagée par les traitements habituels bien conduits, il peut être proposé une sédation (Hypnovel) du malade dans le but de soulager cette souffrance. Cette technique de soin, encadrée par des recommandations de bonnes pratiques, impose bien sûr une infomation préalable et une recherche du consentement du malade ou ici de ses parents.

RECOMMANDATIONS

En conséquence, le comité s’accorde unanimement à engager les soignants prenant en charge des enfants atteints de cancer à redoubler d’efforts et d’empathie pour non seulement informer les parents, mais aussi pour évaluer la compréhension par eux de l’information délivrée, sachant qu’il est des moments où celle-ci ne peut être acceptée et donc entendue, la prise en charge informationnelle et psychologique étant une dimension essentielle de la prise en charge globale en oncopédiatrie.
Par ailleurs, le comité invite les soignants à orienter les parents d’enfants atteints de cancer vers des structures et des services d’aide, quand il n’existe pas de possibilité d’accompagnement et de soutien psychologique dans le service, pendant mais aussi après la prise en charge de leurs enfants. La consultation d’un psychologue et/ou d’une association de parents notamment, peut être d’un apport précieux pour permettre d’engager ou de maintenir un dialogue aussi efficace que possible entre les soignants et les parents, et peut, pour ces derniers, contribuer à rendre moins intolérable l’épreuve qu’ils traversent.

PRECISIONS SUR LES RECOURS

À défaut, le Comité rappelle que différents niveaux de recours sont proposés aux familles - amiables, disciplinaires et juridictionnels – et suggère que, dans des situations similaires à celle exposée, les parents saisissent en premier lieu le médiateur de l’établissement où a été hospitalisé leur enfant, médiateur qui devra notamment s’appuyer sur les recommandations de bonnes pratiques en vigueur et sur les explications des parents et du médecin pour étayer son examen de la situation. Il est également possible aux parents de soumettre le cas à la commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQ) de l’établissement s’ils considèrent qu’un dysfonctionnement s’est produit ou encore de saisir le Conseil national de l’ordre des médecins s’ils estiment qu’il y a eu faute déontologique.
Un comité d’éthique ne peut se substituer à ces divers interlocuteurs et instances. Son rôle est autre. Il réfléchit sur les situations complexes, en médecine, quand les protocoles de traitement, les recommandations publiées dans les revues médicales et par les sociétés médicales spécialisées ou la loi ne donnent pas de réponse claire à ce qu’il y a à faire,. Il en est de même quand il n’y a pas de choix évident à la résolution d’une difficulté, quand les différents choix possibles apparaissent tous aussi valables que risqués.

 

* LALANDE Françoise, ROUSSILLE Bernadette, Les essais cliniques chez l’enfant en France, Inspection générale des affaires sociales, Paris 2003, 134 pages

Article 2 de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie

Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, a défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical.

Recommandations de la SFAP : La sédation pour détresse en phase terminale (version longue en français - 2004)

La sédation en phase terminale pour détresse est la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience, dans le but de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté.

Article 89 de la loi n°2004-806 relative à la politique de santé publique

Aucune recherche biomédicale ne peut être pratiquée sur une personne sans son consentement libre et éclairé, recueilli après que lui a été délivrée l’information prévue à l’article L. 1122-1. Le consentement est donné par écrit ou, en cas d’impossibilité, attesté par un tiers. Ce dernier doit être totalement indépendant de l’investigateur et du promoteur.

Lorsqu’une recherche biomédicale est effectuée sur un mineur non émancipé, l’autorisation est donnée par les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale. Toutefois, cette autorisation peut être donnée par le seul titulaire de l’exercice de l’autorité parentale présent, sous réserve du respect des conditions suivantes :

- la recherche ne comporte que des risques et des contraintes négligeables et n’a aucune influence sur la prise en charge médicale du mineur qui s’y prête ;

- la recherche est réalisée à l’occasion d’actes de soins ;

- l’autre titulaire de l’exercice de l’autorité parentale ne peut donner son autorisation dans des délais compatibles avec les exigences méthodologiques propres à la réalisation de la recherche au regard de ses finalités.

Article 4 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 sur les essais cliniques sur les mineurs

Le consentement éclairé des parents ou du représentant légal a été obtenu ; ce consentement doit exprimer la volonté présumée du mineur et peut être annulé à tout moment sans que ce dernier en pâtisse.

Article 16 de la loi n° 2002-303 relative aux droits des personnes malades et des usagers du système de santé

Dans chaque établissement de santé, une commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge a pour mission de veiller au respect des droits des usagers et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’accueil des personnes malades et de leurs proches et de la prise en charge. Cette commission facilite les démarches de ces personnes et veille à ce qu’elles puissent, le cas échéant, exprimer leurs griefs auprès des responsables de l’établissement, entendre les explications de ceux-ci et être informées des suites de leurs demandes. Elle est consultée sur la politique menée dans l’établissement en ce qui concerne l’accueil et la prise en charge, elle fait des propositions en ce domaine et elle est informée de l’ensemble des plaintes ou réclamations formées par les usagers de l’établissement ainsi que des suites qui leur sont données.