Un infirmier en service d’oncologie fait face à une situation de soins qui pose dilemme au sein de son équipe soignante. Aussi, il souhaite recueillir le point de vue du Comité éthique et cancer sur un plan éthique, déontologique tout en ne négligeant pas l’aspect législatif en regard de cette situation clinique.
Il s’agit d’une patiente âgée de 45 ans hospitalisée depuis un mois qui est suivie pour un cancer de l’ovaire avec métastases pulmonaires. Elle a bénéficié de protocoles de cures de chimiothérapie terminées à ce jour.
Cette patiente est mariée et a deux enfants (11 et 7 ans). Ils rendent rarement visite à leur mère. La dernière visite remonte à une dizaine de jours, ils étaient accompagnés de la sœur de cette patiente. Ils ont découvert leur mère amaigrie et asthénique, dyspnéique mais cherchant à paraître confiante dans un futur retour à domicile.
Elle ne parle jamais de sa maladie, ni avec le personnel médical ou l’équipe soignante ni avec ses proches. Son mari ne s’est jamais présenté au service et la patiente refuse d’évoquer sa situation maritale. La seule personne présente est donc sa sœur.
Les enfants et la famille, tous sont tenus dans une totale ignorance de la situation de par sa volonté. Il est à souligner que son pronostic vital est engagé à court terme, mais celle-ci s’oppose absolument à toute révélation envers ses proches et refuse que le médecin en parle à sa famille. Elle dit vouloir rentrer à domicile, s’occuper de ses enfants et bientôt reprendre son travail d’hôtesse de caisse.De plus, elle refuse de désigner une personne de confiance, de rencontrer une psychologue ou un membre de l’équipe mobile de soins palliatifs. Elle dit aller bien et n’avoir besoin de personne.
Elle a bénéficié d’un entretien privilégié avec le médecin oncologue et d’une consultation d’annonce. Elle accepte les traitements, a reçu toutes les informations sur la maladie, les traitements et les effets indésirables. Elle ne manifeste aucune opposition, aucune appréhension des traitements, actes et soins. Le médecin l’a toujours informée de l’évolution de son cancer, des métastases diffuses au niveau pulmonaire et de l’inefficacité du traitement antinéoplasique.
Lors des transmissions, il apparaît au sein de l’équipe soignante un certain désarroi et le souhait de voir le médecin passer outre les exigences de la patiente pour informer la sœur de celle-ci.
En effet, l’équipe soignante trouve que de ne pas dire exactement ce qui se passe à la famille et aux enfants est difficile à vivre. Une des collègues infirmière, en colère et émue à la fois, souhaite s’engager à prévenir la sœur de la patiente et à lui demander ce qu’il adviendra des enfants. Elle argumente sa décision en disant qu’il est important de s’inquiéter du devenir de ces enfants. Il est à noter que la fin prochaine de cette patiente déstabilise fortement l’équipe.
En préambule, le Comité éthique et cancer tient à préciser qu’il n’a pas été possible de joindre l’auteur de la saisine et l’équipe soignante qu’il représente. Il aurait été particulièrement utile de pouvoir auditionner un ou plusieurs membres de cette équipe, afin de préciser la situation de la patiente et de ses proches. Cela aurait également sans doute permis de lever certaines contradictions dans l’intitulé de la saisine, en particulier concernant les relations entre la patiente et l’équipe soignante ; il est notamment fait mention d’une absence de dialogue, mais dans le même temps d’une information régulière et d’un « entretien privilégié » avec le médecin oncologue.
Cela étant, en dépit d’un certain nombre d’incertitudes, le Comité s’est attaché à analyser en détail la situation présentée et à en tirer différents constats et préconisations.
La situation de la patiente et de ses proches
Comme cela vient d’être dit, il est compliqué de se faire une idée précise et exhaustive de la situation de la patiente, en dehors de la réalité de son état de santé. Il est possible que son attitude, telle qu’elle est décrite, soit l’expression d’un déni de la gravité de sa maladie et de la fin de sa vie à laquelle son cancer devrait conduire dans un avenir relativement proche. Un tel déni n’est pas nécessairement dommageable dans la mesure où il permet à cette personne de se protéger d’une réalité infiniment douloureuse. Certes, si cette réalité la rattrape, la confrontation à celle-ci sera sûrement particulièrement difficile. Mais cela fait aussi partie du rôle des soignants de l’accompagner et de l’aider dans ces circonstances. Entre-temps, le déni peut lui permettre de vivre du mieux qu’elle le peut. Il peut aussi s’inscrire dans une forme de préservation de ses relations avec ses proches.
Concernant ces derniers, il est là encore difficile d’apprécier leur situation. L’intitulé de la saisine laisse percevoir une certaine agressivité vis-à-vis du mari (« il ne s’est jamais présenté au service »). Cependant, il existe peut-être des raisons objectives qui ne lui permettent pas de venir visiter sa conjointe ; la distance entre l’établissement de santé et le domicile, l’absence de véhicule ou encore un travail précaire ou éloigné par exemple.
Il transparaît également une forte inquiétude exprimée par l’équipe soignante vis-à-vis du devenir des enfants. Cependant, au regard de leur âge, ceux-ci sont scolarisés, donc inscrits dans le parcours institutionnel de l’éducation nationale, ce qui ne permet pas de considérer que l’absence et la disparition probablement prochaine de leur mère les conduisent à être totalement abandonnés. Sans compter la présence du père et de la sœur, il existe de nombreuses structures d’aide à l’enfance qui peuvent accompagner et aider ces enfants.
Par conséquent, la patiente n’est ni seule, ni isolée, et les inquiétudes dont il est fait état de la part de l’équipe soignante vis-à-vis du devenir des enfants, avec des motivations très certainement louables, apparaît quelque peu disproportionnées au regard des informations dont dispose le Comité.
À ce stade, il convient d’affirmer qu’il n’existe pas de norme à laquelle devrait se conformer toute personne malade en situation de fin de vie. Il n’y a pas plus de norme de comportement pour les proches en de telles circonstances. Il est compréhensible que des soignants s’attendent à ce que cette patiente exprime du désarroi, de l’anxiété, de la révolte face à ce qui lui arrive. Tout comme ils s’attendent certainement à ce que les proches soient en demande d’informations. Dans le cas présent, il n’en est visiblement rien. La patiente, qui a priori est bien informée, ne veut rien dire de sa maladie, ni à son entourage, ni aux soignants. C’est son choix et son droit. Nul ne peut lui contester la façon dont elle entend faire face à sa situation. Cela lui appartient totalement, au nom du principe d’autonomie, et il convient de le respecter scrupuleusement.
En aucun cas, il s’agit pour le Comité de critiquer les préoccupations exprimées par l’équipe soignante qui témoignent très certainement d’une empathie à l’égard de la patiente et de ses enfants. L’empathie est indissociable du soin. Cependant, il convient de rappeler qu’il s’agit de la capacité à se mettre à la place de quelqu’un pour ressentir ce qu’elle ressent et non pour faire ce que l’on croit qu’elle devrait faire. En ce sens, l’empathie ne peut s’opposer à l’autonomie.
La question de la révélation
Le Comité a déjà eu par le passé l’occasion d’examiner la question de l’information des proches quant à l’état de santé d’une personne en fin de vie dès lors que celle-ci s’oppose clairement à toute divulgation concernant sa maladie et son devenir attendu à son entourage, y compris en cas de demande expresse de ce dernier 1. La position du comité est de considérer, qu’en de telles circonstances, il convient d’abord que l’équipe soignante œuvre auprès du malade, de manière non injonctive, pour favoriser, dans la mesure du possible, le dialogue entre le malade et ses proches et créer les conditions d’une éventuelle transmission d’informations. Dans tous les cas, le comité estime dans sa grande majorité que « le principe du secret professionnel est à ce point constituant de la relation médecin-malade qu’il ne peut être envisagé de le violer de manière délibérée »2. Une telle violation aboutirait en effet à une rupture de la relation de confiance entre l’équipe soignante et le patient, compromettant alors la prise en charge et les soins. Cette position se situe en pleine adéquation avec les termes des articles du code de la santé publique portant sur le secret professionnel 3.
Dans le cas particulier, objet de la saisine, le Comité éthique et cancer réaffirme sa position en faveur d’un respect plein et entier du secret professionnel. Il rappelle également que, selon les termes du code de la santé publique et sauf opposition du malade, seul un médecin est habilité à délivrer ou à faire délivrer sous sa responsabilité des informations concernant l’état de santé d’une personne, en particulier lorsque celles-ci concernent un diagnostic ou un pronostic grave. Dès lors, il n’apparaît pas envisageable qu’une infirmière prenne de son propre chef l’initiative de révéler aux proches de la patiente des informations concernant l’état de santé de celle-ci et son devenir probable. Il n’y aurait aucune légitimité à cette initiative, aussi louables puissent en être les motivations. En rompant ainsi le secret professionnel et en se désolidarisant de ses collègues, cette infirmière nuirait à sa patiente tout autant qu’à l’équipe au sein de laquelle elle exerce.
La situation de l’équipe soignante
La singularité de la situation telle qu’elle est décrite dans la saisine tient en grande partie au sentiment de désarroi, de déstabilisation et de frustration qui apparaît émaner de l’équipe soignante. Il est concevable que l’attitude de silence et de déni adoptée par la patiente engendre de l’incompréhension de la part des professionnels de santé chargés de sa prise en charge, dans la mesure où elle ne correspond pas à ce qui est communément attendu d’un malade atteint d’une maladie grave et qui, du fait de celle-ci, est en situation de fin de vie. Cependant, comme il a déjà été dit, il n’existe pas de norme en la matière et toute attitude se doit d’être respectée puisque c’est au malade et à lui seul qu’il appartient d’en décider. Il est possible que l’intégration actuelle de toutes les procédures médicales dans des protocoles puisse, si elle est prise de manière excessive et s’étend aux émotions et aux comportements, conduire à la déstabilisation observée de l’équipe soignante. Une équipe qui ne se reconnaît pas dans un schéma habituel peut en effet finir par s’interroger sur sa pratique et ne plus vraiment savoir comment agir de façon adéquate, conduisant à un sentiment d’inutilité et de frustration.
Pourtant, même dans la situation présente, l’équipe soignante concernée est loin d’être en situation d’impuissance. Dès lors qu’elle accepte l’attitude de la patiente, elle peut se recentrer, non pas sur la question de la révélation aux proches, mais sur les liens entre la patiente et son entourage. Il y a là un enjeu véritablement essentiel à tenter de faire en sorte que ces liens soient retissés, notamment avec les enfants de cette femme. L’équipe peut réaliser un accompagnement des enfants leur permettant, au-delà du comportement de la mère, de mieux saisir ce qu’ils perçoivent de la situation de celle-ci et d’en comprendre la signification réelle. L’équipe peut également tenter de favoriser le dialogue entre la patiente et sa sœur, ce qui peut conduire à une libération de la parole, non seulement entre elles, mais aussi avec les soignants. Enfin, par l’intermédiaire de la sœur, l’équipe peut interroger la situation réelle de la famille, en particulier du père, et tenter ainsi de savoir s’il y a des motifs sérieux d’inquiétude quant au devenir des enfants et s’il conviendrait de faire intervenir, à un titre ou un autre, les services sociaux. Ces démarches sont autant au cœur de la démarche de prise en charge que les soins proprement dits et n’en a pas moins de valeurs.
L’équipe soignante pourrait ainsi parvenir à dépasser son sentiment de frustration actuelle et se réinvestir pleinement dans la relation avec cette patiente, au bénéfice de celle-ci et des soignants eux-mêmes.
In fine, il apparaît que les émotions jouent peut-être un rôle prépondérant dans la réaction de l’équipe soignante face à cette patiente. Pour surmonter les difficultés ressenties par cette équipe solidaire confrontée à des réactions individuelles qui la déstabilisent, un groupe de parole animé par un psychologue par exemple, pourrait être mis en place. Une telle approche contribuerait certainement à aider les soignants à surmonter leur malaise et à continuer s’investir avec une sérénité retrouvée dans leur relation avec cette patiente.
Le Comité éthique et cancer tient à préciser qu’en aucun cas, par ses constats et ses propositions, il n’a cherché à juger l’attitude et les réactions de l’équipe soignante. Si la situation décrite est singulière par certains aspects, elle témoigne de difficultés qui sont fréquemment rencontrées dans les établissements de santé prenant en charge des patients atteints de cancer.