Un homme âgé de 80 ans est hospitalisé pour une péritonite aiguë, alors qu’il était en parfaite santé jusqu’à présent, en dehors d’un amaigrissement et de douleurs dorsales survenues au cours des mois précédents. Lors de l’intervention qui est réalisée en urgence, le chirurgien découvre la présence d’une masse tumorale indécollable sur le pancréas, cause probable de la perforation, avec des disséminations hépatiques. La famille est informée de la situation et de l’absence d’option thérapeutique vis-à-vis du cancer découvert. Alors que l’anesthésiste est en train d’effectuer la procédure de réveil, l’épouse, accompagnée de ses deux fils et d’un petit-fils, supplie l’équipe médicale de ne pas réveiller le patient, considérant qu’il serait trop « cruel » qu’il reprenne conscience. Une réunion de l’ensemble de l’équipe médicale et de la famille est organisée en urgence. À cette occasion, l’équipe apprend que la fille du patient est décédée quelques mois auparavant d’un cancer des ovaires, à l’âge de 32 ans, avec des douleurs qui ont été difficilement contrôlées. L’un des fils explique qu’il est depuis en dépression et qu’il n’envisage pas de supporter de voir son père dans la même situation que sa sœur disparue. L’autre fils indique que sa propre épouse est actuellement traitée pour un cancer. Dans ce contexte émotionnel, la famille exprime une forte pression pour que le patient ne soit pas réveillé, sous-entendant de prolonger l’anesthésie jusqu’à son décès. Un médecin de l’équipe médicale saisit le comité pour connaître son avis à l’égard de la demande de cette famille.
Dans un premier temps, le comité considère que la démarche de l’équipe médicale, consistant à organiser immédiatement une réunion de l’ensemble des professionnels impliqués et de la famille, est parfaitement adéquate et qu’elle seule était susceptible de permettre de déterminer en toute conscience une réponse adaptée à la demande formulée par les proches de ce patient. Le dialogue ainsi engagé a également permis à la famille d’exprimer sa souffrance et ses interrogations et à l’équipe médicale de les entendre. La démarche est conforme à l’esprit de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », qui recommande notamment, lorsqu’un patient est inconscient, à défaut de directive anticipée exprimée par le patient, de consulter la personne de confiance désignée ou les proches, et de prendre toute décision dans un cadre collégial.
Expression des volontés
Cela étant, le comité estime que, dans la situation présente, il est difficile d’envisager de poursuivre l’anesthésie sans que le patient puisse exprimer ses volontés, pour autant que le réveil de ce patient soit, techniquement et humainement, possible. Il ne saurait être question de réanimer cet homme avec pour unique objectif de le maintenir en vie à tout prix, ce qui reviendrait à un acharnement thérapeutique, qui par définition serait déraisonnable. L’objectif de l’équipe médicale doit être avant tout de chercher à éviter toute souffrance, puis, dans la mesure du possible, de permettre à ce patient de revenir à une vie relationnelle avec sa famille et avec l’équipe soignante. Sachant que cet homme se pensait en parfaite santé quelques heures auparavant, rien ne dit qu’il ne souhaite pas pouvoir entrer en relation, même pour un temps limité, avec ses proches et avoir des échanges avec eux qui pourraient être, pour lui ainsi que pour les siens, extrêmement importants. Dans de telles situations, intenses et exceptionnelles pour le patient et pour les proches, il n’est pas possible pour ceux-ci de se mettre à la place du patient, même quand ils le connaissent bien, et de décider pour lui.
Participer aux décisions
Par ailleurs, pour le comité, il ne revient pas à la famille de ce patient de porter le poids de la décision de transformer l’anesthésie en sédation, quelles que furent la souffrance et le désarroi exprimés par ses membres. Sachant que l’émotion peut être portée par une histoire familiale, dont il est difficile de mesurer toutes les composantes dans l’urgence, il paraît préférable, après avoir entendu la famille, de mettre celle-ci hors de cette responsabilité et d’éviter de la sorte le développement ultérieur éventuel d’un sentiment de culpabilité d’avoir pris une mauvaise décision. Le comité estime donc que l’attitude raisonnable est de mettre en place une prise en charge postopératoire qui, en premier lieu, évite toute souffrance au patient et qui, si cela est possible, lui permette de retrouver un certain niveau de conscience afin qu’il puisse participer aux décisions qui le concernent au premier chef. Il convient dans le même temps de rassurer la famille sur l’engagement de l’équipe médicale à tout faire pour que le patient ne souffre pas, ou le moins possible.
Si, au cours de la prise en charge, il s’avère qu’il ne peut plus être envisagé que ce patient retrouve une vie relationnelle, il revient alors à l’équipe médicale de prendre les décisions qui s’imposent selon les modalités et les termes définis par la loi Leonetti.
Compte tenu de la mise en avant par les proches de nombreux cancers dans la famille, une proposition d’aide psychologique pourrait leur être faite. Leur demande et leur questionnement par rapport au patient sont aussi une façon d’exprimer leur propre souffrance. Voir celle-ci reconnue les aiderait à faire évoluer cette demande.
Article L. 1110-5 de la loi n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie
Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.
(L. nº 2005-370 du 22 avr. 2005) « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris (…). »
(L. nº 2005-370 du 22 avr. 2005) « Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. »
Article L. 1111-4 de la loi n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie
Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre (L. nº 2005-370 du 22 avr. 2005) « tout traitement » met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables (…).
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut un de ses proches, ait été consulté.
Article L. 1111-11 de la loi n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie (L. nº 2005-370 du 22 avril 2005)
Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment (…).
Article L. 1111-13 de la loi n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie (L. nº 2005-370 du 22 avril 2005)
Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le Code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical (…).