Avis n°8

du 25 février 2010
Quand une équipe de soins palliatifs doit-elle informer les patients de leur droit à formuler des directives anticipées pour mieux les faire accepter ?

Dans la perspective d’un regroupement de lits identifiés en soins palliatifs au sein d’une même unité, une équipe médicale exerçant dans une clinique chirurgicale s’interroge sur les modalités les plus appropriées pour informer les patients de leur droit à formuler des directives anticipées dans l’éventualité où leur état de santé ne leur permettrait plus d’exprimer leurs volontés. La question se pose notamment pour cette équipe de savoir à quel moment de la prise en charge il convient de délivrer cette information compte tenu des répercussions psychologiques qu’elle peut avoir. Cette équipe sollicite l’avis du comité pour l’éclairer dans sa démarche.


 

Les directives anticipées ont été instaurées par la loi du 22 avril 2005 (dite « loi Leonetti ») relative aux droits des malades et à la fin de vie. Elles ont fait l’objet d’un décret d’application le 6 février 2006 qui fixe les modalités de rédaction, de conservation et de validité de ces directives. Cette disposition prévoit que « toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement ». Il s’agit donc d’un texte écrit à l’avance par la personne, alors qu’elle est en pleine possession de ses moyens, indiquant sa volonté dans l’éventualité où elle ne serait plus en mesure de le faire au moment où des décisions médicales relatives à sa fin de vie seraient envisagées. Ce texte doit être daté et signé. Il est valable pendant une durée de trois ans mais peut être modifié ou révoqué à tout moment par le patient. Les directives anticipées peuvent être adjointes au dossier médical ou être conservées par le patient lui-même, la « personne de confiance » qu’il aura par ailleurs désignée ou toute autre personne. Dans ces derniers cas, le patient doit faire mentionner dans son dossier médical l’existence de ces directives anticipées.
La question posée est de savoir à quel moment de la prise en charge il convient d’informer le patient de son droit à définir des directives anticipées. Le débat au sein du comité fait apparaître deux positions bien distinctes : d’une part, une information précoce, dès le début de la prise en charge, au moment par exemple de la consultation infirmière ou de l’annonce de la possibilité de désigner une personne de confiance ; d’autre part, une information tardive, correspondant notamment à la décision de transfert du patient en soins palliatifs.

INFORMATION PRÉCOCE

Les arguments en faveur d’une information précoce sont :
– Sachant que les directives anticipées visent à permettre au patient d’exprimer sa volonté dans l’éventualité où il ne serait plus en mesure de le faire compte tenu de la dégradation de son état de santé, il peut être préférable de proposer une information sur ces directives à un moment où cette éventualité constitue uniquement l’une des possibilités d’évolution de la maladie et non une certitude. Au début de la prise en charge, l’espoir domine de parvenir à vaincre la maladie. De fait, la charge émotionnelle de cette information, qui, inévitablement, introduit chez la personne qui la reçoit l’idée de sa propre mort, peut être moins forte. À ce moment de la prise en charge, formulée comme une hypothèse parmi d’autres et dont on espère qu’elle n’adviendra pas, cette information peut ainsi être moins difficile à recevoir pour le patient et à donner pour l’équipe médicale.
– L’information sur les directives anticipées délivrées de façon précoce peut également être considérée comme participant au devoir de vérité à l’égard du patient, sachant que, malheureusement, la prise en charge médicale des cancers ne conduit pas encore aujourd’hui systématiquement à la guérison.
– Le fait de rédiger des directives anticipées nécessite de la part du patient une réflexion importante. Il semble ainsi judicieux de pouvoir l’informer rapidement de cette possibilité afin de lui permettre d’avoir le temps de mener cette réflexion et de décider in fine de définir ou non de telles directives. De même, si le patient a écrit des directives anticipées de façon précoce dans le cours de sa prise en charge, cela lui laisse la possibilité de revenir sur celles-ci, pour les modifier ou les révoquer, ce qui respecte pleinement le principe d’autonomie de la personne.
– Comme il a été dit précédemment, informer une personne sur son droit à émettre des directives anticipées conduit cette dernière à devoir envisager sa mort. Cependant, dans la peur de la mort, il faut aussi considérer la peur de l’inconnu du processus de mourir. Pouvoir mettre noir sur blanc sa volonté et avoir le temps d’en discuter avec l’équipe médicale peut constituer pour le patient une opportunité d’apprivoiser, du moins en partie, cette peur.

INFORMATION TARDIVE

A contrario, plusieurs autres arguments favorables à une information tardive peuvent être énoncés :
– Envisager dès le début de la prise en charge des directives anticipées, compte tenu de la perspective sombre qui lui est associée, peut être mal vécu par le patient alors qu’il vient déjà de subir le choc de l’annonce de la maladie et que sa vie est largement bouleversée par celle-ci. De fait, l’information sur les directives anticipées peut mettre à mal l’espoir dont doit être porteur le patient et qui constitue un moteur précieux dans sa lutte contre la maladie.
– Il conviendrait également de tenir compte de l’évolution prévisible de la maladie. Si cette évolution risque d’être rapide, il faut évidemment ne pas tarder à informer le patient de son droit afin de ne pas être en quelque sorte « pris de vitesse » par la maladie. En revanche, dans le cas d’une évolution prévisible sur le moyen ou le long terme, et même si aucune chance de guérison ne peut être envisagée (dans la situation d’une maladie métastatique par exemple), il ne paraît pas forcément nécessaire de « se précipiter » à évoquer les directives anticipées. Il peut être plus judicieux d’aborder cette question lorsque le moment sera jugé opportun par le médecin et l’équipe médicale, compte tenu de la relation établie avec le patient, de l’évolution de son état de santé, et de sa situation psychologique.
– La décision de transfert d’un patient en soins palliatifs peut être l’occasion pleinement justifiée d’informer ce dernier sur les directives anticipées, dans la mesure où cette décision doit faire l’objet d’une information complète de la part du médecin et de son équipe. Compte tenu de la signification de cette décision quant au devenir du patient, et bien que difficile à entendre pour celui-ci, il existe une logique à envisager les directives anticipées à ce moment précis.

CONCLUSIONS

Le Comité éthique et cancer n’est donc pas parvenu à une position consensuelle à l’égard de la question posée, les arguments en faveur de l’une et l’autre attitude étant parfaitement recevables et défendables. Les membres du comité s’accordent cependant à penser qu’il est souhaitable en toutes circonstances que l’information sur les directives anticipées ne soit pas donnée trop tardivement au regard de l’état de santé du patient, afin de laisser à ce dernier le temps de la réflexion et de la décision. Il importe également que cette information soit délivrée, quel que soit le moment choisi, avec la plus grande humanité possible, compte tenu de ses implications et des répercussions psychologiques qu’elle peut avoir pour le patient. In fine, il revient à chaque équipe de décider de l’attitude qu’elle souhaite mettre en œuvre, sachant qu’il convient dans tous les cas de s’adapter à la situation individuelle de chaque patient.

Article L. 1111-12 de la loi n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie

Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance en application de l’article L. 1111-6, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin.

Article L. 1111-13 de la loi n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie

Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le Code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical (…).

Article R. 1111-17 du décret nº 2006-119 du 6 février 2006 relatif aux droits des malades

Les directives anticipées mentionnées à l’article L. 1111-11 s’entendent d’un document écrit, daté et signé par leur auteur dûment identifié par l’indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance.
Toutefois, lorsque l’auteur de ces directives, bien qu’en état d’exprimer sa volonté, est dans l’impossibilité d’écrire et de signer lui-même le document, il peut demander à deux témoins, dont la personne de confiance lorsqu’elle est désignée en application de l’article L. 1111-6, d’attester que le document qu’il n’a pu rédiger lui-même est l’expression de sa volonté libre et éclairée. Ces témoins indiquent leurs nom et qualité, et leur attestation est jointe aux directives anticipées.
Le médecin peut, à la demande du patient, faire figurer en annexe de ces directives, au moment de leur insertion dans le dossier de ce dernier, une attestation constatant qu’il est en état d’exprimer librement sa volonté et qu’il lui a délivré toutes informations appropriées.