Tribune
01/03/2013

Communiquer sur les causes du cancer est une nécessité

Catherine Hill, épidémiologiste à l'IGR (Villejuif)

Dans le cadre d’une prévention efficace, il est indispensable que les experts, les médias et les pouvoirs publics délivrent une information correcte sur les causes du cancer. Cependant des questions subsistent. L’état actuel des connaissances est-il suffisamment fiable pour en déduire des conduites à tenir ? Les résultats des  enquêtes épidémiologiques  repris par les médias suffisent-ils à éclairer le grand public ?

Expliquer ce que nous savons des causes du cancer en France est une nécessité. À défaut, la population est exposée à des informations confuses, contradictoires, non hiérarchisées, voire complètement infondées qui peuvent conduire à des stratégies individuelles de prévention aux conséquences catastrophiques : ainsi parce qu’ils font  de l’exercice physique, mangent cinq fruits et légumes par jour ou mangent bio, certains pensent que leur risque de cancer est réduit et en déduisent qu’ils peuvent continuer à fumer. Cela reflète une méconnaissance profonde de la hiérarchie des risques.

Hiérarchie des risques

Le tabac est la cause d’un décès par cancer sur 4 en France, l’alcool la cause d’un décès par cancer sur 15[1], l’ensemble des infections la cause d’un décès par cancer sur 25, les expositions professionnelles la cause d’un décès par cancer sur 40, l’obésité ou le surpoids d’une part et l’inactivité physique d’autre part la cause chacun d’un décès par cancer sur 60 ; le traitement hormonal de la ménopause, l’exposition au soleil et la pollution sont des causes encore moins importantes mais non négligeables[2],[3].
Le risque annuel de mort d’un fumeur est au moins multiplié par deux, probablement plutôt par 3, par rapport à un non-fumeur du même âge. Le risque augmente beaucoup plus avec la durée du tabagisme qu’avec la dose : il est donc plus dangereux de fumer 10 cigarettes par jour pendant 20 ans que 20 cigarettes par jour pendant 10 ans. Et comme le risque cesse d’augmenter à l’arrêt du tabac, cet arrêt est de très loin la meilleure stratégie de prévention du cancer (et de maladies cardiaques et respiratoires) chez les fumeurs. La baisse de la consommation d’alcool a été très importante depuis 1970 entraînant une diminution spectaculaire des cancers de la tête et du cou[4] dans la population masculine ; la consommation est en effet passée de plus de cinq verres à moins de trois verres par adulte et par jour[5]. L’inactivité physique, indépendamment du surpoids et de l’obésité, augmente un peu le risque de certains cancers[6]. Au contraire, la consommation de fruits et légumes a été rétrogradée de facteur protecteur certain à facteur protecteur probable[7] ; et même si l’effet était certain, la réduction du risque de cancer ne dépasserait pas 3 % si tout le monde consommait autant de fruits et légumes que les 20 % qui en consomment le plus.

Confusion des risques

On connaît aujourd’hui un certain nombre de causes de cancers, on sait en mesurer les conséquences et on peut estimer l’effet d’une réduction des expositions à ces causes. Ceci permet de dire que l’éradication du tabac serait de loin la meilleure mesure préventive, que la réduction de la consommation d’alcool a entraîné une réduction du risque de cancer très importante dans la population masculine, et qu’on peut encore réduire beaucoup cette consommation. L’ensemble des infections qui sont des causes de cancer peuvent aussi être réduites notamment par vaccination contre les virus HPV et le virus de l’hépatite B. Lutter contre l’obésité est aussi une bonne mesure préventive.
Pour le public, les facteurs de risque fantasmés occultent les facteurs de risques avérés comme l’alcool ou le tabac. Les médias ne sont pas responsables des messages erronés qu’ils diffusent ; ce sont des professionnels de santé et des associations, en partie manipulés par différents lobbies, qui créent la confusion. Ainsi des auteurs sans scrupules lancent des messages profondément erronés, qui rencontrent un grand succès. Si vous fumez, mangez des câpres recommande un professeur d’oncologie très médiatique. Il ne sert à rien d’arrêter de fumer car les cancers liés « à l’environnement » augmentent énormément dit un autre oncologue. Le négationnisme de certains professionnels de santé vis-à-vis des dangers du tabac, de l’alcool, des risques liés à l’utilisation du traitement hormonal de la ménopause et des contraceptifs, voire du Médiator, fait beaucoup plus de dégâts que les médias qui ne font que refléter la cacophonie qui règne chez les professionnels.
On prépare une loi sur les lanceurs d’alerte, mais il faudrait aussi protéger le public des tromperies de ces mêmes professionnels.
Dans le cadre d’une prévention efficace sur les facteurs de risque avérés, faut-il être nécessairement alarmiste ? Quelle question ! Il ne faut pas être « alarmiste » il suffit de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

[1]. Hill C., Laplanche A., La consommation d’alcool est trop élevée en France, La Presse Médicale 2010 (39), pp.158-164.

[2]. Autier P., Boffetta P., Boniol M., Boyle P., Ferlay J., Aurengo A., Masse R., de Thé G., Monier R., Tubiana M., Valleron A-J., Hill C.. Attributable causes of cancer in France in the year 2000, Lyon, IARC 2007, 172 p.

[3]. Boffetta P., Tubiana M., Hill C., Boniol M., Aurengo A., Masse R., Valleron A-J., Monier R., de Thé G., Boyle P., Autier P., The causes of cancer in France. Annals of oncology 2009, 20(3), pp.550-555.

[4]. Cancer de la cavité buccale, du pharynx, de l’œsophage et du larynx.

[5]. Ceci est la consommation obtenue en répartissant l’alcool mis à disposition dans l’ensemble de la population de 15 ans et plus. On l’exprime souvent en litres d’alcool pur par an. On passe d’un litre d’alcool pur par an à un verre par jour en multipliant par 800 car un litre d’alcool pur pèse 800 grammes, en divisant par 365 et en divisant par 10 car on suppose qu’un verre contient 10 grammes d’alcool pur.

[6]. Vainio H., Bianchini F. eds., Weight control and physical activity, IARC handbooks of cancer prevention (vol. 6). Lyon, IARC 2002.

[7]. Key TJ., Fruit and vegetables and cancer risk, British Journal of Cancer 2011 (104), pp. 6-11.