Point de vue
01/11/2008

Dire la vérité ou non ? Pourquoi ?

Olivia Ribardière, cadre infirmier à l'IGR

Cadre infirmier à l’institut de cancérologie Gustave-Roussy (Villejuif), Olivia Ribardière a soumis la première saisine au comité éthique et cancer. Partant de son expérience de terrain, elle s’interroge sur l’information donnée à l’entourage, véritable acteur dans la relation médecin-patient-proches.

Éthique & Cancer : Comment définiriez-vous l’éthique ?
Olivia Ribardière :
Une question éthique est pour moi la confrontation de deux valeurs fortes pour laquelle il n’y a pas de bonne ou de mauvaise solution.

É & C : Vous avez soumis la première saisine au comité éthique et cancer, qu’en attendiez-vous ?
O. R. :
À l’origine, il y a mon intervention lors du colloque éthique et cancer de février 2008. Alors que tout le monde était focalisé sur le patient, je souhaitais parler de ce qui l’entoure. Si on veut prendre en compte le patient « dans sa globalité », on ne peut pas faire fi de son entourage, qui peut être une force ou une complication. J’ai alors donné cet exemple, auquel des centaines d’infirmières ont dû être confrontées. Ce cas a touché les gens, on en a fait une saisine.

É & C : Comment trancher entre le principe de secret médical et celui d’assistance à une famille en détresse ?
O. R. :
D’un côté, on a la législation, qui ne peut être plus limpide : on se doit de garder le secret professionnel sur tout ce qui concerne le patient. De l’autre côté, on a pour ainsi dire l’inverse du cadre légal : c’est la sensibilité, l’humain, l’affect. Il y a certaines situations où l’on ne peut pas s’arrêter à la loi, ce serait inhumain. Je ne dis pas qu’il faut la violer, mais il faut au moins se poser la question. C’est faire preuve de professionnalisme et de bon sens que de savoir qu’il y a la loi, et le terrain. Dans le cas posé par la saisine, la question est moins de savoir si l’on doit dire la vérité que de savoir ce qui va en être fait. Notre but est de faire en sorte que la fin de vie du patient se déroule le mieux possible, et on a senti qu’on ne la gérerait pas correctement en excluant l’épouse. Si on avait menti à cette femme, on aurait perdu sa confiance. Or, c’est une erreur de fonctionner sur la base du binôme médecin-patient. Dans la maladie chronique, c’est nécessairement une relation tripartite qui se construit, avec l’entourage. À mon sens, il y a encore une grosse marge de progression en la matière.

É & C : Qu’avez-vous pensé de l’avis rendu par le Comité éthique et cancer ?
O. R. :
À titre personnel, je suis satisfaite que ce cas ait pu être mis sur la place publique. Parce qu’il vient d’une infirmière et qu’il est intéressant de montrer que l’ensemble du corps soignant se pose des questions éthiques, et parce que la problématique de l’information de la famille est généralement peu abordée. Ma deuxième satisfaction est d’avoir entendu des choses qui m’ont ouvert des pistes de réflexion, des alternatives auxquelles ni les membres de mon équipe ni moi-même n’avions pensé.

É & C : Y a-t-il d’autres situations typiques, des dilemmes de cet ordre que vous rencontrez au quotidien ?
O. R. :
Oui. Voici l’exemple d’un cancer du sein qui se passait mal. Nous avons très vite senti un problème au niveau familial, sans le déterminer. Un jour, la mère de la patiente nous a appris que son gendre pratiquait des attouchements sexuels sur leur fille. « Vous allez faire quelque chose, n’est-ce pas ? », nous a-t-elle dit. La cellule juridique de l’hôpital nous a indiqué que cette enfant n’étant pas notre patiente, la seule solution était que la grand-mère porte plainte. Or, celle-ci disait ne pas en avoir l’audace. Qu’allions-nous faire ? Devions-nous aller voir cette patiente, qui allait mourir quelques semaines plus tard, pour lui raconter cela ? Dans quelles conditions allait-elle partir ? Il s’agissait, une fois de plus, de dire ou non la vérité, et pourquoi. En dehors de l’entourage, il y a aussi la question des essais thérapeutiques, qui va finir par se poser. Ces essais font appel à des molécules extrêmement chères pour prolonger la vie des patients, parfois de six mois… Qui va prendre la décision d’appliquer ou non ces traitements coûteux pour la société ? Qui sommes-nous pour juger de la valeur de ces six mois de vie, pour une personne, selon son âge, par exemple ?

É & C : Vous êtes aussi membre du Comité éthique & cancer. Que pouvez-vous apporter ?
O. R. :
Il faut de tout pour faire un monde. Si on veut former un bon groupe, il faudra des gens qui ont une vision plus ou moins large et d’autres qui ont la tête dans le guidon. La richesse de ce groupe est là.