Les directives anticipées : maîtrise de la fin de vie ou outil d’accompagnement ?
Les directives anticipées (DA) désignent un document écrit, daté et signé dans lequel une personne consciente et compétente détermine le type d’approche médicale qu’elle souhaiterait recevoir ou non, advenant que la maladie ou un accident la prive de sa capacité d’expression.
Les mots « directives anticipées » sont des termes de loi et, à l’origine, les termes de « testament biologique », « testament de vie » ou « disposition de fin de vie » étaient plus couramment utilisés. Cette démarche s’inscrit dans un courant qui tend à s’opposer aux excès de la médecine et qui poursuit l’objectif d’accéder à une mort digne, douce et naturelle. Ce document permet donc de prolonger au-delà de la capacité d’expression, la possibilité d’exercer son droit à l’autodétermination. Cette disposition s’inscrit dans la suite logique du consentement libre et éclairé à obtenir du malade pour tout traitement médical ou paramédical et pour tout essai expérimental.
Petit tour du monde des législations en vigueur
Depuis une petite vingtaine d’années, plusieurs pays ont légiféré en matière de droit à l’autodétermination1,2, droit qui s’inscrit délibérément dans un mouvement d’individualisation de la personne humaine, qui entend garder le contrôle de son existence jusqu’à sa mort. Aux États-Unis, depuis 1991 déjà, une loi fédérale impose à tous les établissements de soins d’informer chaque malade de ses droits et, si ce dernier a rédigé une déclaration de volonté et nommé un mandataire, d’en faire mention dans le dossier du patient. Le Québec et le Danemark (1992), la Grande-Bretagne (1995), la Suisse (1996) et, en Espagne, la Catalogne (2000) reconnaissent la légalité du testament de vie. En Allemagne et en Autriche, la jurisprudence reconnaît l’obligation de se conformer au testament de fin de vie. L’État américain de l’Oregon (1994), la Suisse (1995) et les Pays-Bas (1993) accordent le recours au suicide assisté aux malades en stade terminal. Aux Pays-Bas en 2001, en Belgique en 2002, et au Luxembourg en 2007, l’euthanasie est dépénalisée sous certaines conditions. En France en avril 2005, une loi dite « Léonetti » relative aux droits des patients et à la fin de vie modifie la loi datant de mars 2002. En février 2006, un décret du Conseil d’État définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées, prévues par la loi du 22 avril 2005. La législation française invite à quelques commentaires.
En France
La loi précise que « … ces directives indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement ». Ces directives anticipées ne peuvent donc consister qu’en une demande de non-recours à des traitements ou techniques de soins. Non seulement il s’agit d’imaginer la situation de fin de vie dans laquelle la personne malade se trouvera, mais encore faudra-t-il indiquer la limitation ou l’arrêt de certains traitements précis.
Le médecin qui interviendra au moment de la fin de vie est ainsi exposé au refus anticipé de traitement, avec, comme corollaire, le risque de mise en tension de deux impératifs qui pourraient se révéler contradictoires3 : l’assignation de la médecine à préserver la vie et à s’en donner les moyens dans l’état actuel des connaissances et la reconnaissance de l’autonomie du malade exprimée par un refus anticipé dans le cadre des directives.
Pas question donc d’envisager des directives anticipées fondées sur des valeurs ou considérations subjectives quant à la manière de concevoir sa qualité de vie, son intégrité physique ou son confort de fin de vie. Par ailleurs, dans la « vraie » vie, la personne arrive au terme de son existence après une longue période de compagnonnage avec la maladie, lors de laquelle elle a dû prendre jour après jour des décisions pour elle-même.
Qui, pour prendre la décision ?
À ce stade de la réflexion, plusieurs questions se profilent : en premier lieu, ces personnes lasses de décider pour elles-mêmes et épuisées par la maladie sont-elles encore en demande d’exercer leur autonomie morale au-delà de leur capacité d’expression ? L’expérience acquise en soins palliatifs nous montre combien la personne s’en remet à l’équipe soignante lorsqu’elle se sent écoutée dans l’expression des symptômes pénibles et des souffrances qu’elle endure quand se profile le décès. Même les personnes en capacité de s’exprimer font confiance au discernement de l’équipe médicale et soignante et nous disent : « Faites ce que vous pensez bon pour moi. » Le besoin exprimé par ces personnes à l’approche de la mort est celui de se sentir accompagné aussi bien dans les décisions à prendre que dans ce qui reste à vivre.
Certaines études réalisées en oncologie montrent en effet que les patients ont généralement la volonté d’être informés de l’évolution de leur maladie, mais qu’ils ne revendiquent pas avec la même force la participation aux prises de décisions les concernant4. C’est pourquoi, dans les services de soins palliatifs, nous n’attendons pas que la personne soit en incapacité de s’exprimer pour se concerter en équipe et avec les proches, aussi bien pour des traitements à initier que pour envisager de les limiter5.
Enrichis de cette expérience, ne pourrait-on imaginer intégrer l’information et la proposition de la rédaction de directives anticipées dans le décours des consultations avec l’oncologue ? Cette démarche s’inscrirait de la sorte dans la suite logique de la recherche du consentement libre et éclairé pour la poursuite ou non des traitements anticancéreux. De plus, ne pourrait-on pas envisager la présence fidèle de la personne de confiance à ces rencontres ? Cette dernière se sentirait moins démunie quand le jour viendrait de faire remonter les volontés anticipées du malade, voire de les compléter en s’appuyant sur une connaissance suffisante des valeurs et des préférences de la personne, pour l’avoir vue à l’œuvre lors des décisions qu’elle aura prises pour elle-même. En effet, comment maintenir les conditions d’un choix en situation réelle et au-delà de la capacité d’expression, si ce n’est par l’implication de la personne de confiance auprès de l’équipe médicale dans une continuité de consentement à rechercher ? L’intention n’est ici nullement de proposer d’augmenter le pouvoir décisionnel de la personne de confiance, mais de rencontrer plus facilement les conditions favorables d’un bon « jugement substitué6 ».
Décider de sa fin de vie, une gageure
La décision me semble être et devoir rester d’ordre médical, même si le malade doit se faire à l’idée que ses directives seront juste prises en compte, serviront de guide dans la prise de décision, mais n’auront pas de valeur contraignante pour le médecin. Agir au mieux des intérêts du malade en choisissant le traitement qu’il considère comme le plus approprié doit rester la première mission médicale. Il est en effet stipulé dans la loi que : « À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement. »
Au revoir donc la douce illusion de l’être humain bien portant de maîtriser seul les conditions de sa fin de vie ou les circonstances de sa mort, au profit d’un plus grand respect de la personne humaine. Car respecter une personne en fin de vie, qu’elle conserve ou non sa capacité d’expression, consiste non seulement à respecter son autonomie décisionnelle mais aussi sa dignité, son intégrité et sa vulnérabilité7.
Des directives anticipées « accompagnées8 » ?
On peut légitimement se questionner sur les causes de la quasi-inexistence de cet outil d’autodétermination dans les services de cancérologie ou de soins palliatifs. D’après le rapport d’information réalisé fin 2008 au nom de la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005, la procédure des directives anticipées ainsi que la désignation de la personne de confiance sont des dispositifs mal connus et les directives anticipées sont mal comprises de ceux qui y recourent. Les termes de la loi sont encore trop peu connus, même des professionnels de la santé.
Mais suffit-il d’informer sur cette procédure pour la voir se développer ? Une étude prospective dans des unités de soins palliatifs à Genève9 conclut que même si les patients atteints d’une maladie oncologique avancée reçoivent l’information sur les directives anticipées, une minorité seulement décide de les compléter. Lorsqu’une personne est bien portante ou en début d’une maladie cancéreuse, il lui est d’autant plus difficile d’envisager précisément les techniques de soins et les traitements qui lui seront inacceptables en fin de vie. Sauf peut-être pour les personnes atteintes de maladie neurologique évolutive comme la sclérose latérale amyotrophique (SLA), où l’évolution prévisible de paralysie progressive de tous les systèmes, l’atteinte de la phonation et de la respiration les expose à des décisions de gestes invasifs, comme la trachéotomie ou la sonde gastrique, pour procéder à la ventilation assistée et à la nutrition artificielle. Sans décision anticipée d’arrêter à un moment précis cette escalade de moyens techniques pour maintenir en vie, la personne se retrouvera tôt ou tard totalement dépendante des machines pour vivre.
Dans ces situations, les directives anticipées consistent en un réel outil d’accompagnement sous certaines conditions : une préparation et un dispositif de cheminement. Ce sont essentiellement les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) ou de soins de support (EMSS) qui me semblent être les mieux outillées en termes de diffusion pas à pas de l’information et de temps nécessaire à l’intégration et à l’articulation des éléments de connaissances nécessaires à la formulation des souhaits couchés dans les directives.
Si les directives anticipées peuvent être perçues de prime abord comme un refus de technique opposé au corps médical, elles sont tout autant un tremplin pour une relation soignante de qualité10. L’important alors n’est pas tant le résultat atteint (la formulation des directives) que l’accompagnement du malade et de sa famille dans l’élaboration des souhaits sur sa manière de continuer à vivre dans l’acceptation de sa finitude humaine.