Édito
01/10/2014

Éthique et démocratie

Philippe Bataille, Sociologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales

L’orientation morale du Comité éthique et cancer tient aux valeurs laïques et républicaines qui fondent la vie en société. Ses membres sont d’anciennes personnes malades et des proches endeuillés qui réfléchissent avec des praticiens du soin et de la médecine et des chercheurs en sciences fondamentales et humaines.
La discussion éthique tient à des cas réels liés à la pathologie cancéreuse qui sollicitent des savoirs notamment scientifiques assortis d’une bonne connaissance de l’organisation des soins. Par exemple, garde-t-on les mêmes chances de dépistage et de guérison du cancer en prison ? Est-il éthique d’anticiper la détermination d’un risque génétique ? Pour un cancérologue, l’égalité dans l’accès aux soins se négocie-t-elle avec son patient s’il fait valoir des difficultés socio-économiques objectives pour s’y consacrer ? Au nom de l’autonomie du patient, l’ajout d’un cancer à une maladie psychiatrique ou à des conduites à risque modifie-t-il l’interprétation des obligations morales dues au plus vulnérable ?
Soumis à des saisines, le comité réalise un pan de la démocratie sanitaire. Les avis éthiques qu’il a déjà produits unissent des savoirs objectifs à des contextes humains empreints de subjectivité et d’aléatoire des situations de l’exercice clinique. Si singuliers soient-ils, ces avis rattachent in fine l’individu aux valeurs de la vie collective. Tant pour le professionnel que pour le soigné, ils réunissent les aspirations culturelles et contemporaines de la bonne vie morale sans réduire l’éthique à l’adaptation des cadres moraux du soin à la rareté des ressources économiques de l’hôpital.
Emporté par un souci d’humanisme avec une forte autorité morale et scientifique en la personne de son président Axel Kahn, le Comité éthique et cancer a conscience de l’impact politique et juridique de ses avis. Sa grande connaissance de l’état des lois et des jurisprudences n’interdit pas de les revisiter ou de souhaiter leur évolution. De même en rappelant les devoirs légaux et moraux des organisations et des institutions, la discussion éthique en vient à rassembler des éclats de subjectivité qui se heurtent au moment d’une action médicale en cours, mais sans que la démarche éthique ne vire à une médiation pour autant.
La méthode part du cas singulier jusqu’à totalement atypique pour remonter vers une règle générale, quitte à l’établir et à la prodiguer ensuite sous forme d’une recommandation ou d’une bonne pratique. La démarche d’ensemble articule les valeurs fondatrices de la vie en société aux principes de l’éthique médicale et de la bioéthique, tenant par exemple toujours compte de l’autonomie du patient et de la responsabilité du médecin.
Ce faisant le Comité éthique et cancer est devenu l’un des plus beaux outils de la démocratie sanitaire qui déjà marque l’histoire de la lutte contre le cancer du XXIe siècle.