Tribune
01/07/2014

Être membre d’un comité d’éthique au sein d’un établissement de santé

Colette Lanusse, bénévole à la Ligue contre le cancer

La loi du 4 mars 2002 demande aux établissements de santé « de mener en leur sein une réflexion sur les questions éthiques posées par l’accueil et la prise en charge médicale ». Cette injonction s’est traduite par la mise en place dans ces établissements de structures diversement nommées : « comité d’éthique », « commission d’éthique » Leurs objectifs varient : réflexion empirique, étude de cas, lieu d’aide à la décision des professionnels de santé… Un membre d’un groupe de réflexion éthique au sein d’un établissement de santé nous éclaire sur son fonctionnement, le poids de ses décisions, son articulation avec les professionnels de santé qui restent seuls décideurs, et sur ses méthodes de travail.

Je suis actuellement membre d’un « Groupe de réflexion éthique », (c’est la dénomination qui a été retenue), dans un centre hospitalier public du Sud-Ouest où j’avais été préalablement désignée par l’Agence régionale de santé (ARS) comme représentante des usagers au sein du conseil de surveillance de la CRUQPC (Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge), et d’autres instances visant au contrôle et à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins.

Un engagement personnel garantissant la liberté de parole

Cependant, ma participation au Groupe de réflexion éthique est à mes yeux différente des mandats de représentation des usagers dont je suis officiellement porteur. Si en tant que bénévole à la Ligue contre le cancer depuis plus de vingt ans, je me trouve légitime dans l’établissement pour défendre et promouvoir les droits des patients, par contre, lorsque des dilemmes éthiques se posent en termes de choix à faire, de responsabilités à prendre dans des situations difficiles, je ne me sens pas autorisée à émettre un avis au nom de tous les usagers du système de santé ni au nom de la Ligue contre le cancer. J’ai conscience du poids de données personnelles intervenant dans les positions que je pourrais prendre : âge, vécu, culture, convictions spirituelles, voire religieuses, par exemple. Lorsque j’ai présenté ma candidature comme membre du Groupe de réflexion éthique, j’ai précisé dès le départ le sens que je donnais à un engagement personnel, mon désir de participer à une réflexion collective sur des problèmes sociétaux comme la fin de vie, mais aussi mon souci de conserver ma liberté de pensée et de parole, sans prétendre parler au nom de tous les patients et usagers. Lors de la rédaction par le groupe de réflexion éthique de son règlement intérieur, cette demande a été prise en compte. La deuxième représentante des usagers partageait pleinement mon point de vue.

Obligations morale et juridique

Le Groupe de réflexion éthique constitué a été officiellement mis en place dans l’établissement de soins au début de l’année 2013, après validation par la direction qui en a assuré la plus large communication auprès de l’ensemble des personnels. Dans sa lettre d’information, le directeur expliquait que la mise en œuvre d’une réflexion éthique au sein de l’établissement provenait d’une double nécessité :
- une obligation morale, pour tous les soignants exposés dans leurs pratiques à des questionnements, ou à des conflits de valeurs dans des situations difficiles comme l’arrêt des traitements en fin de vie, la décision d’effectuer une opération très risquée chez un nouveau-né, le choix d’annoncer un pronostic vital à la famille, le respect de la volonté d’un malade de sortir de l’hôpital alors qu’il y a des risques, par exemple. Des questionnaires ont été distribués dans tous les services à l’ensemble des personnels, et les réponses reçues ont permis de mieux connaître leurs attentes et leurs besoins. L’usager que je suis a trouvé cette phase « exploratoire » indispensable et très intéressante.
- une obligation d’ordre juridique comme rappelé par le directeur dans sa note d’information, évoquant la loi du 4 mars 2002, et l’article L 6111-1 du code de la santé publique. Même si les termes de la loi laissent une grande liberté à l’établissement quant aux missions et modalités de création d’un comité d’éthique, cette implication de la direction a favorisé les premiers travaux du groupe : recensement des besoins et des attentes de tous les professionnels, par diffusion des questionnaires, débats ouverts sur les missions que devrait remplir le Groupe de réflexion éthique, rédaction du règlement intérieur, intégration de la réflexion éthique dans la procédure de certification de la HAS (Haute autorité de santé).

La consultation éthique, une aide à la décision

Les trois principales missions du Groupe de réflexion éthique, définies dans le règlement intérieur, touchent à la vie de l’établissement de soins. Elles peuvent se résumer ainsi :
Porter une analyse de nature éthique et émettre des avis sur des situations de soins, réelles, exposées par un professionnel ou une équipe. Le Groupe de réflexion éthique, lieu d’analyses de pratiques, se veut consultatif. Il n’intervient pas « à chaud ». Son objectif est de donner a posteriori un éclairage au personnel pour aider à la réflexion, voire à des décisions ultérieures. À cela, un préalable : la recherche d’une méthodologie rigoureuse et adaptée qui a constitué des séances de travail collectif tout à fait intéressantes, à partir d’exemples précis, repérage des faits, identification de la question, hypothèses de décisions et conséquences prévisibles, proposition de décision au regard du dilemme éthique, élaboration de recommandations pour l’avenir.
Organiser des actions d’informations et de formations des personnels sur l’éthique en matière de santé. Des conférences ont été proposées dès 2013 autour de thématiques à portée générale. J’ai découvert combien il reste à faire pour que les patients soient correctement informés, et du moment opportun sur des sujets comme la personne de confiance, les directives anticipées, le droit au consentement éclairé… Récemment, deux soirées ont été consacrées à un débat sur la question de la fin de vie suite à une demande de la Commission médicale d’établissement au Groupe de réflexion éthique. Afin de se spécialiser, un diplôme universitaire a été proposé pour les membres du Groupe de réflexion éthique, puis élargi à des professionnels médicaux et infirmiers. Les deux représentantes des usagers ont un libre accès aux conférences et ateliers organisés tous les mois avec des intervenants universitaires de grande qualité. Ce travail en équipe me paraît être un moyen de concertation supplémentaire, même si je n’envisage nullement de passer le diplôme correspondant.
Gérer la base documentaire intranet, fournir bibliographie et articles de revues, veiller aussi à la diffusion des avis et réflexions du groupe. Cette mission est assurée par les six membres du comité de coordination du Groupe de réflexion éthique. Ainsi s’est créée toute une dynamique visant à promouvoir des démarches éthiques dans la recherche de la qualité.

« La moins mauvaise solution possible »

La composition du groupe, comportant une trentaine de membres, se veut pluriprofessionnelle : personnels de l’établissement, usagers et personnes ressources qualifiées. Pour les professionnels (médecins et soignants), les candidatures ont été faites par écrit auprès des chefs de pôle et de l’équipe de coordination qui ont donné leur avis. Les temps de réunion sont pris sur le temps de travail. L’équipe de coordination du Groupe de réflexion éthique, comporte, comme dit précédemment, six membres, et elle est chargée de l’organisation des réunions mensuelles, de la communication interne et externe, et de la réception des demandes de saisine pour lesquelles elle produit les premiers éléments de réponse dans le mois suivant la saisine. Les demandes proviennent éventuellement d’usagers transitant par la Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge.
Cependant, j’ai pu très vite constater que certains pôles d’activité médicale sont beaucoup plus exposés que d’autres à des situations entraînant des dilemmes éthiques. Ainsi, dans le service des urgences et de la réanimation, dans celui de la néonatalité, les risques d’acharnement thérapeutique apparaissent comme une préoccupation fréquente. J’étais personnellement moins préparée aux problèmes rencontrés dans les services de psychiatrie ou de neurochirurgie, où le respect du droit à la liberté du patient se trouve parfois en conflit avec une décision de contention rendue indispensable pour que soit assurée la sécurité corporelle d’un patient agité, et celle de son entourage.
Les saisines qui nous ont été adressées concernaient surtout ces services. Mais j’ai découvert aussi les problèmes que constituent, par temps de crise économique, des thérapies porteuses d’espoir, en cancérologie par exemple, mais dont le coût très élevé entraînera nécessairement une obligation de choix, de sélection des malades à traiter en priorité. D’autres conflits de valeurs se profilent ainsi à mes yeux dans un avenir proche. Plus que jamais, les membres de comités d’éthique auront besoin de maturité, de droiture, de rigueur pour participer utilement à des débats difficiles avant de donner, collégialement, un avis sur « la moins mauvaise solution possible ».