Tribune
10/10/2017

De l’inéthicité d’essais cliniques en Afrique

Unethical clinical trials in Africa

Depuis plus de 10 ans, l’ONG Wemos enquête et travaille sur la recherche biomédicale et les essais cliniques dans les pays en développement. Elle a mis en évidence des raisons légitimes d’inquiétudes quant aux risques auxquels sont exposées les personnes participant à ces recherches. En effet, les essais ne sont pas toujours menés dans le cadre des principes éthiques fondamentaux, notamment ceux énoncés par la déclaration d’Helsinki, et les participants sont souvent confrontés à des risques de dommages corporels et violations des droits humains. Pearl Heinemans, militante et salariée de l’association Wemos, présente les observations du dernier rapport de l’association sur ce sujet. Il met en évidence la nécessité de mieux contrôler les essais de l’industrie pharmaceutique et d’avoir une réelle responsabilité des industriels face aux dérives (in)éthiques de certains essais. Particulièrement vulnérables, les participants aux essais, des personnes malades devant impérativement accéder à des soins, doivent être protégées de situations pouvant leur être gravement nuisibles.

Ces dernières années, l’Afrique est devenue une destination populaire pour les entreprises pharmaceutiques qui y mènent leurs essais cliniques. Or, d’après nos observations sur les situations en Afrique du Sud, au Kenya, en Egypte et au Zimbabwe, cette popularité croissante est allée de pair avec des risques plus importants et des pratiques critiquables sur le plan éthique, pouvant même menacer la santé et les droits des personnes participant à ces essais. Ainsi, les pays que nous avons plus particulièrement étudiés ne disposent pas de cadres règlementaires et législatifs forts en la matière. Les entreprises pharmaceutiques étrangères n’intègrent pas nécessairement les principes éthiques fondamentaux prévus pour protéger les participants dans les essais cliniques.

Des inquiétudes sur l’éthique des essais cliniques avec des patients en situation de vulnérabilité

Les principaux textes éthiques internationaux relatifs à la recherche sur les sujets humains, à l’image de la déclaration d’Helsinki ou des recommandations du Conseil pour l’organisation internationale des recherches médicales (Council for International Organizations of Medical Sciences), reconnaissent des principes fondamentaux. Ils incluent :

  • L’accès aux traitements au terme de l’essai ;

  • Le caractère volontaire et le consentement éclairé pour la participation à l’essai ;

  • La disponibilité et l’accessibilité aux traitements déjà disponibles.

Que ce soit en Egypte, en Afrique du sud, au Kenya ou au Zimbabwe, les personnes participant aux essais cliniques ont des ressources sociales et financières limitées. Mais alors que les systèmes nationaux de santé y connaissent des défaillances, ces personnes ne disposent pas nécessairement d’un système d’assurance santé et d’un accès effectif aux soins. Rejoindre les essais cliniques est une manière de trouver ces soins, et souvent la seule solution. Or, contrairement aux traitements déjà disponibles sur les marchés et validés, les traitements utilisés dans les essais cliniques sont souvent expérimentaux et l’innocuité n’est pas démontrée ou certaine. Nous avons constaté que les participants n’étaient pas non plus toujours suffisamment informés sur ces essais, y compris par rapport aux risques, ce notamment en raison de la complexité des formulaires, ou en raison du manque de transparence. Cet état de fait est préoccupant car les patients devraient avoir le droit de savoir véritablement ce pour quoi ils donnent leur accord, ce à quoi ils participent et les risques qu’ils prennent. Comme dans les pays les plus riches, les patients des pays à revenus moyens et faibles devraient avoir la liberté et la possibilité de choisir entre les traitements validés et les traitements expérimentaux. C’est une condition du caractère volontaire de la participation tel qu’énoncé dans la déclaration d’Helsinki.

Nous avons également observé que, pour les patients confrontés à des effets indésirables et à des dommages physiques en lien avec la participation aux essais, le droit à un dédommagement financier n’est pas respecté. Les investigateurs des essais refusent d’établir ou d’explorer suffisamment le lien entre le symptôme et le traitement expérimenté. Le rapport, dans son chapitre sur le Zimbabwe, mentionne ainsi l’histoire dramatique de Grace. Grace était une personne vivant avec le VIH, participant à un essai : elle est devenue aveugle, et son état de santé s’est dégradé jusqu’au décès. C’est là le pire scénario de ce qui peut arriver quand les symptômes apparaissent dans un essai sans être suffisamment pris en compte, ni même considérés. Alors que tous les promoteurs des essais nous ont assuré prendre l’engagement d’un maintien de l’accès aux traitements au terme de l’essai, sur ceux que nous avons étudiés, nous n’en n’avons pas trouvé un seul où cela a été le cas.

D’ailleurs, en dépit de l’engagement des industriels également, nous avons constaté que les traitements n’étaient pas toujours disponibles dans les pays où les essais avaient été menés. Nous avons enfin découvert que, dans certains essais, les entreprises pharmaceutiques ne cherchaient pas nécessairement une amélioration du service médical rendu par rapport aux traitements existants. Indépendamment de ce service médical ou du besoin sanitaire, les entreprises se concentrent plutôt sur des évaluations de l’efficacité et de la sécurité des produits.

De la critique aux propositions : des recommandations pour l’Agence européenne du médicament

Pour Wemos, les conditions de réalisation des essais cliniques devraient faire l’objet d’une observation et d’un contrôle croissant de la part de l’institution européenne en charge de la sécurité des produits de santé, l’European Medicines Agency (EMA), notamment dans les pays à revenus faibles et moyens, là où les systèmes de santé connaissent des défaillances et où les risques de dérives sur le plan éthique sont plus élevés. Nous saluons d’ailleurs le vote d’avril 2017 du Parlement européen, demandant à l’EMA un rapport annuel sur son action pour s’assurer que les médicaments sont évalués de manière éthique dans ces pays avant d’accéder au marché européen[1]. Cette responsabilité de l’EMA devant le Parlement européen est une avancée majeure qui en appelle d’autres pour défendre des essais cliniques éthiques et protecteurs des patients.

Nous proposons que l’EMA :

  • Rende publics les rapports d’inspections sur les bonnes pratiques cliniques. C’est là une norme scientifique et éthique de rigueur dans le design et l’évaluation des essais cliniques. Ce respect des bonnes pratiques éthiques est une assurance pour les droits et la sécurité des personnes participant aux essais. Aujourd’hui, l’agence ne donne aucune information sur ces contrôles ;

  • Demande aux entreprises pharmaceutiques les motivations relatives au choix des populations sélectionnées pour participer aux essais ;

  • Demande, pour les essais contre placebo, la justification de ce choix, et une assurance sur la conformité aux normes éthiques ;

  • Demande une description précise de la procédure relative au consentement éclairé, même si les procédures semblent avoir été suivies. Les autorités doivent être conscientes que certains patients participent à des essais, faute de pouvoir accéder à d’autres options thérapeutiques. Si l’essai représente la seule possibilité de traitement disponible, le consentement n’est pas pleinement volontaire ;  

  • Vérifie que les promoteurs d’essais aient prévu suffisamment de traitements pour assurer que, dans les pays à revenus moyens et faibles notamment, les participants puissent continuer à y avoir accès, y compris au terme des essais ;

  • Vérifie que les promoteurs d’essais aient prévu une compensation financière pour les personnes ayant participé aux essais, et y ayant subi des dommages.

Nous considérons que les essais cliniques doivent être sûrs et que le développement de nouveaux médicaments doit profiter à la santé publique. Cela ne peut se faire aux dépens de ceux qui acceptent de faire de leur corps, et de leur santé, un lieu d’expérimentation, au profit de nos médicaments. Les histoires et vies des personnes décrites dans notre rapport ne peuvent plus être changées, mais il est encore temps d’agir pour les futurs participants à des essais cliniques. Quand allons-nous enfin réaliser que les essais cliniques inéthiques ne profitent à personne, pas même aux promoteurs d’essais?

 

Septembre 2017
Pearl Heinemans
Wemos

 

 

Découvrez le rapport complet sur les essais cliniques en Egypte, au Zimbabwe, en Afrique du Sud et au Kenya.

Plus d’informations sur Wemos et l’action sur les médicaments sur le site :  https://www.wemos.nl/en/

 

[1] Le Parlement européen rappelle à l’Agence que la directive 2003/63/CE dispose que les médicaments ne peuvent obtenir d’autorisation de mise sur le marché de l’Union s’ils n’ont pas été testés conformément à des lignes directrices éthiques et rappelle à l’Agence ses engagements à réaliser des vérifications supplémentaires sur les essais cliniques menés en dehors de l’Union européenne avant d’accorder l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament ; demande par conséquent à l’Agence, vu les vulnérabilités spécifiques de ces essais, de notifier chaque année à l’autorité de décharge les actions entreprises pour garantir que les médicaments destinés au marché de l’Union ont été testés de façon éthique dans les pays à faible et à moyen revenus, conformément à la loi.

Crédit photo : : © Roger Anis / Public Eye