Tribune
10/04/2019

Pour Axel Kahn, l’Intelligence artificielle (IA) nouvelle génération va entrainer un profond bouleversement des études et des pratiques médicales

Axel Kahn a présidé la 4ème édition du Salon Cité Santé qui a eu lieu au Centre Prouvé de Nancy les 15 et 16 mars 2019. Il a consacré la conférence inaugurale au thème de l’irruption de l’intelligence artificielle dans la médecine contemporaine. Deux questions ont guidé les échanges pendant la matinée : « Les algorithmes vont-ils gouverner notre santé ? » et « quelle est la part de l’humain dans la médecine de demain ? »

Cette tribune reprend plusieurs passages de cette conférence inaugurale, qui sont mis en perspectives avec d’autres interventions du Pr Kahn parues dans la presse depuis 2017.

 

Pour Axel Kahn, l’Intelligence artificielle (IA) nouvelle génération va entrainer un profond bouleversement des études et des pratiques médicales

L’IA nouvelle génération, née dans les années 2010, « apprend, commence à conceptualiser, à faire des hypothèses et à s’améliorer ». Elle se démarque de l’IA « ancienne génération » qui pouvait traiter des masses importantes de données avec une grande rapidité d’exécution, mais était somme toute, « fort peu [intelligente] ». Axel Kahn l’affirme avec certitude : « ce qui a été accompli en 10 ans permet de n’affirmer qu’une chose : là où ira l’intelligence artificielle, tout sera bouleversé » et notamment les activités médicales.

Il est ainsi possible d’envisager des « consultations médicales guidées par l’IA » dont le déroulement se ferait selon les étapes suivantes : « après avoir été reçu par un être humain pour la phase [de recueil] des premières informations sur l’état de santé du patient, ce dernier passe pour l’examen clinique, dans un appareil d’imagerie ultrasonore échographique corps entier doté de nouvelles performances d’IA qui permettent de voir le contour des organes mais aussi d’en palper la consistance, l’élasticité ». La machine « enregistre les bruits du corps, de la respiration, du cœur et des intestins » tandis qu’un robot prélève et analyse une goutte de sang. Après l’analyse des informations recueillies, « un système auto-apprenant, améliorant à chaque prestation ses performances, soumet un diagnostic au médecin avec un pourcentage de probabilité, éventuellement un examen spécifique complémentaire à réaliser, et une recommandation de traitement ». À ce stade, l’IA aura atteint une telle performance « sur le plan de la qualité du diagnostic et de l’efficacité du traitement recommandé que, Axel Kahn en est persuadé, « aucun médecin ne pourra rivaliser avec ce que fera cette machine ». Il précise encore qu’ « il est de toute façon inacceptable pour l’humaniste de ne pas choisir la meilleure option. Inacceptable de soigner un malade moins bien que l’on pourrait le faire. En total désaccord avec le fondement de la pratique médicale, voire le serment d’Hippocrate ».

Toutefois, Axel Kahn reconnaît qu’« on ne fera jamais totalement confiance » à la machine : un « risque de bug » persistera toujours, et « il y aura encore besoin systématiquement d’un humain », notamment lors d’interventions de chirurgie assistée par ordinateur (CAO).

Mais au-delà de cette limite technique, l’intelligence artificielle ne pourra jamais se substituer à une dimension fondamentale de l’être humain : « la machine intelligente n’a pas de corps ». Or, « la médecine s’intéresse [à ce] corps dont la machine est dépourvue, ce qui veut dire que dans sa familiarité avec le corps, la machine ne pourra acquérir que ce qui lui aura été communiqué ». C’est pourquoi l’IA ne pourra jamais remplacer « la câlinothérapie »[1] qui peut prendre la forme « d’un éclat du regard » ou « d’un sourire rassurant ». « Aucun calcul ni suite de codes ne pourront remplacer l’empathie, la chaleur, la proximité́ d’un médecin avec et pour son patient. […]. Il faut donc à tout prix que l’on arrive à préserver cette relation privilégiée qui, outre son apport psychologique, intervient énormément dans la mise en œuvre de l’acte médical ». En effet, « le rôle du médecin restera […] indispensable pour parvenir à la connivence, puis à la participation nécessaire du malade pour lui expliquer le diagnostic et le faire adhérer à son traitement ».

Ce bouleversement de la pratique médicale dont sera synonyme l’IA nouvelle génération obligera à « reconsidérer profondément [la teneur des études médicales] » et ce de façon urgente : « ce qui est appris aujourd’hui ne sera plus, pour l’essentiel, ce qui sera utilisé demain ». Axel Kahn propose « trois piliers fondamentaux » sur lesquels devrait s’appuyer une indispensable réforme des études médicales : « l’apprentissage de la physiologie pour « savoir ce dont on parle », la compréhension de la technique, des stratégies et des méthodes d’intelligence artificielle, et la connaissance des relations humaines, domaine où l’homme l’emportera longtemps sur les machines ». Il nous met en garde sur le fait de « ne pas réfléchir en amont à cette nouvelle organisation du travail et de laisser toute la place aux robots ». Toutefois il affirme, sur une note rassurante, que « dans cette société déshumanisée, le besoin de contact humain sera [éminemment] renforcé » …

Sources :

APM International. 18/03/2019. Dépêche RM4POK7Q9. «L’intelligence artificielle va totalement bouleverser les pratiques et les études médicales» (Axel Kahn) 

APM International. 17/05/2017. Dépêche SAN8OQ283D. «Médecine de demain et nouvelles technologies: la « calinothérapie » devra rester importante» (Axel Kahn) 

100 % Nancy. 16/03/2019. «L’intelligence artificielle bouleverse la pratique médicale» (Axel Kahn)

Marianne. 02-0802/2019. N°1090. «Le génie humain survivra à l’intelligence artificielle» (Axel Kahn)

 

 

[1] Ou « bisouthérapie » selon l’expression d’Axel Kahn