La prise en compte de la personne dans la décision thérapeutique
Une décision thérapeutique ne peut être issue de la seule réflexion médicale, elle n’a pas non plus vocation à être unilatérale. Si le professionnel de santé a la responsabilité d’informer en détail son patient du protocole thérapeutique qu’il va suivre, il est également impératif qu’il soit en mesure de prendre en compte l’environnement socioculturel du patient et les coûts du protocole thérapeutique.
Les décisions prises par le médecin pendant la maladie de son patient ne dépendent pas des seuls facteurs médicaux. Les paramètres économiques, sociaux, culturels, confessionnels ou géographiques ne peuvent être ignorés. Pour être efficiente, la décision thérapeutique doit compter avec l’environnement constitutif de l’identité du patient. L’évaluation des répercussions ne pourra en être que plus pertinente. D’autant que cet environnement n’est pas sans conséquence en terme d’organisation des soins.
L’équilibre coûte que coûte
Sur le plan économique, pour être éthique, la prescription de molécules très coûteuses dans une décision thérapeutique doit être mûrement soupesée, certains traitements pouvant revenir à plus de 1 500 euros par semaine, sans compter les coûts afférents à la prise en charge. Le médecin doit-il alors tenir compte des contingences économiques ? Entre sa responsabilité morale, vis-à-vis de son patient, et sa responsabilité sociale, le médecin se doit de trouver un juste équilibre. Cela suppose qu’il puisse s’appuyer sur des référentiels de bon usage des médicaments coûteux, référentiels qui soient eux-mêmes étayés par des arguments solides. C’est donc la question des conditions de l’évaluation des médicaments au cours des essais cliniques qui se posent, sachant que l’essentiel de ces essais est promu par l’industrie pharmaceutique. Si celle-ci a pour vocation de proposer des médicaments innovants, sa démarche répond aussi à d’incontestables impératifs commerciaux. La question de l’indépendance de l’information et de la formation des médecins vis-à-vis des molécules coûteuses se pose aussi. Pour autant, un système de prescriptions qui deviendrait trop rigide dans ses règles pourrait conduire à des pertes de chance pour le patient, lorsque, par exemple, des présomptions d’efficacité d’un médicament existent. La pertinence d’un traitement se mesure aussi en fonction des possibles effets secondaires de celui-ci. Le patient est-il prêt à les accepter ? C’est le cas lorsqu’une chirurgie mutilante est envisagée. Tout traitement entraînant des répercussions, surtout lorsqu’elles sont définitives, impose un minimum de questionnement éthique. La réponse n’est pas univoque et dépend bien évidemment de chaque situation particulière. Elle ne peut se construire que dans le dialogue avec le patient. Les décisions thérapeutiques n’ont d’intérêt que si elles sont partagées.
Faire tomber les frontières
Encore faut-il que le dialogue puisse s’instaurer, ce qui n’est pas forcément évident lorsque le patient est d’une culture et/ou d’une confession différentes de celle du médecin. Barrière de la langue, conceptions culturelles et pratiques cultuelles peuvent conduire à des incompréhensions, d’un côté comme de l’autre. Un soin considéré comme indispensable par un médecin pourra être refusé par le patient et/ou sa famille pour des raisons intangibles. Cette méconnaissance entre savoirs respectifs peut rendre l’annonce du diagnostic encore plus délicate qu’elle ne l’est d’ordinaire, certaines familles souhaitant avant tout cacher la maladie à la personne concernée. Le médecin se retrouve alors écartelé entre son expérience médicale, le souhait du patient et/ou de la famille, et les obligations légales. La contribution d’un médiateur peut alors s’avérer précieuse, si elle est possible. La mise en place de recommandations pratiques destinées aux médecins pour les aider dans la construction du dialogue, par exemple avec les communautés migrantes les plus représentées en France, trouve ici toute sa légitimité.
La décision thérapeutique peut être perturbée par des considérations pratiques. L’isolement géographique du patient en est une. Les déplacements, plus encore lorsqu’ils sont quotidiens, sont souvent contraignants et certains malades ne disposent pas d’un hébergement provisoire à proximité du lieu de soin. Les rares mis à disposition sont essentiellement le fait d’associations. Il y a là un chantier important qui mériterait d’être ouvert par les institutions en charge de l’organisation des soins. Tout comme il conviendrait de réfléchir à une meilleure adaptation des horaires d’ouverture des consultations et des soins aux besoins des patients et aux souhaits des familles.