Point de vue
01/09/2013

Quand le médical et le spirituel se conjuguent

Rabbin Mikaël Journo, aumônier général des hôpitaux de France Imam Mohamed Latahy, aumônier des hôpitaux universitaires de Strasbourg Père Raymond Oswald, prêtre aumônier de l’hôpital Tenon

Trois aumôniers des trois grandes religions du livre nous éclairent sur les liens ambigus entretenus entre maladie et religion pour apporter un soutien spirituel aux malades.

Propos recueillis par Élodie et Audonnet et Laurent Pointier

Éthique et cancer : Aujourd’hui, pour quelles raisons la survenue de la maladie grave peut-elle être pensée comme une sanction divine ?
Rabbin Mikaël Journo :
Dans le judaïsme, la maladie n’est pas considérée comme une sanction divine. Aucune maladie, aucune souffrance sur terre n’émane de la volonté de Dieu. Il en est pour preuve que la religion juive enjoint l’homme de se soigner, d’avoir recours à la médecine, de suivre scrupuleusement les traitements recommandés et que tous les préceptes religieux, par exemple les préceptes alimentaires s’annulent devant la vie qui est sacralisée. Rien ne vaut la vie.
Imam Mohamed Latahy : S’agissant de la religion musulmane, on peut citer les versets suivants : « Oui, l’homme a été créé instable ; quand un malheur le frappe, le voilà abattu et quand le bonheur le touche, il devient égoïste (…) seuls font exceptions les gens pieux. » Ainsi, c’est parce que l’homme est né d’une double vérité ; d’une part sa fragilité et sa petitesse et d’autre part son honorabilité puisque doué de raison et de réflexion, que lorsqu’il est touché par un mal, il est angoissé. La douleur diminue ses facultés physiques et intellectuelles. Il éprouve une souffrance psychologique qui diminue ses capacités à réfléchir et peut même lui ôter sa combativité habituelle. En effet, l’Homme se désespère lorsqu’il est touché par une épreuve, il manque de patience, il implore Dieu de le secourir, et dès que l’épreuve disparaît, et qu’il retrouve fortune, bien-être et santé, il oublie tout…
Père Raymond Oswald : Lors de mon activité à l’hôpital Tenon, cinq ou six fois la sanction divine était invoquée dans la survenue de la maladie, guère plus. Cela arrive donc quelquefois mais très rarement, seulement au sein de certaines populations. Peut-être parce que les gens sont de moins en moins croyants et ont de plus en plus confiance dans les soins donnés par le personnel hospitalier, médecins et infirmières. Aujourd’hui, les patients ont, à mon avis, une réaction beaucoup plus positive dans les traitements effectués. Ils croient et pensent qu’ils vont guérir, ou qu’ils vont s’en sortir.

É & C : Dans une société empreinte de laïcité, peut-on encore croire à l’apport de la spiritualité dans la guérison ?
Imam Mohamed Latahy :
La laïcité n’est pas la négation de la spiritualité, au contraire celle-ci permet l’expression de la diversité des spiritualités. Elle leur donne la chance de se rencontrer, de confronter leur point de vue, par conséquent de les faire évoluer, notamment en milieu hospitalier. Par ailleurs, la spiritualité musulmane a toujours encouragé la science, le prophète de l’Islam a dit « Dieu n’a pas fait descendre sur terre une maladie sans avoir en même temps fait descendre son remède ». Le musulman est dans l’obligation d’utiliser tous les moyens qui sont disponibles pour trouver le remède guérisseur, par conséquent la spiritualité est un vrai soutien à la médecine. Si le soin présente deux facettes, l’une technique à savoir l’acte médicale et l’autre accompagnante à savoir la relation et le fait de prendre soin, je pense que dans cette dernière la spiritualité peut être d’un grand secours. Elle aidera le patient à accepter sa maladie, à accepter les soins, à patienter et à être un acteur de sa guérison.
Rabbin Mikaël Journo : Les patients qui sont en souffrance et dont la vie peut être en sursis s’accrochent à la foi et ce quelle que soit la religion. Ils y puisent de nombreux bénéfices. Dans de telles circonstances, ils s’accrochent à cette foi comme on peut s’accrocher à la famille ou à un projet de vie. Être pratiquant, bien entendu dans les limites qu’impose la gravité de la maladie, permet d’avoir un moral et une spiritualité susceptibles d’aider à l’affronter, mais peut-être pas forcément d’y trouver un sens. En revanche, c’est au médecin qu’il incombe de soigner et de se préoccuper des aspects physiques et médicaux. Ce n’est pas au rabbin de soigner le corps.
Père Raymond Oswald : C’est la manière d’aborder les patients qui permet d’entrer en contact ou non avec eux. C’est en ce sens que l’aumônier ne doit en aucun cas faire du prosélytisme, ce n’est pas son rôle. La spiritualité peut certes aider le malade mais elle n’est pas un apport dans le processus de guérison. La spiritualité est un cheminement personnel à chaque patient qui peut aider sur un plan moral.

É & C : À l’hôpital, pour respecter les différences culturelles et de religion, quelle approche, selon vous, le personnel soignant doit-il avoir à l’égard des malades ?
Père Raymond Oswald :
Cela dépend de la mentalité des soignants et du service. Les uns travaillent pour le seul salaire, d’autres pour se sentir actif, quant aux derniers, ils accomplissent leur tâche avec courage, ténacité en y mettant de l’humanité et du cœur. Ils aiment leur métier et les patients qu’ils accompagnent. Dans l’ensemble, il n’y a pas de problème, sauf si le patient s’avère exigeant ou critique. À Tenon, il y a beaucoup de nationalités mais une absence de rivalités ou de tiraillements. Quel que soit le patient, les personnels soignants exercent leur fonction de la même façon. J’ajouterai qu’ils n’ont d’ailleurs guère le temps d’y penser au regard du rythme qui leur est imposé. En définitive, je ne pense pas que les différences culturelles les préoccupent tant que ça.
Imam Mohamed Latahy : Nous supposons trop souvent que nos conceptions de l’homme sont identiques, ce n’est pas aussi évident que cela, et même au sein d’une même culture. Chaque individu a une conception de soi, du monde et des autres qui lui est propre et ceci dans une situation normale.  Que dire lorsque le contexte est imbibé d’inquiétude, de solitude, d’angoisse, de manque de communication et d’authenticité ? Tout le monde s’accorde à dire, depuis des décennies, que la médecine contemporaine est plus technique qu’humaine, puisqu’elle privilégie le corps au détriment du sujet qui est le malade. Celui-ci est nié dans son identité qui est multidimensionnelle, notamment dans sa vie psychique, affective et spirituelle. Ce qui augmente sa souffrance et par voie de conséquence celle de sa famille et des soignants. Seule, l’approche dialogique permet la connaissance et la reconnaissance des uns et des autres. Le dialogue est source de paroles, de sens et de solutions : développer la culture du dialogue devient une nécessité éthique.
Rabbin Mikaël Journo : En l’état actuel, la sensibilité religieuse, dans le cadre de la laïcité à l’hôpital, permet aux différents patients de rester des pratiquants s’ils le souhaitent. Je le vois, au travers des différents aumôniers israélites qui sont sous ma responsabilité, la relation avec les professionnels de santé ne posent aucun souci. Nous tendons tous vers un même objectif : la quête du bien-être physique, moral spirituel et psychologique des patients face à la maladie et aux souffrances qu’elle engendre.