Édito
01/12/2011

Un revers pour les défenseurs de la non-brevetabilité des gènes

Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service génétique oncologique à l'Institut Curie

En 1994, Myriad Genetics a identifié grâce à une batterie de séquenceurs un premier gène de prédisposition au cancer du sein, BRCA1, gène localisé au préalable par l’effort collaboratif international de laboratoires académiques. Myriad Genetics, avec l’université de l’Utah et le National Cancer Institute, a obtenu aux États-Unis et en Europe des brevets portant sur le diagnostic de prédisposition et le gène BRCA1 en tant que tel. Ces brevets lui ont donné un monopole sur la réalisation de tests génétiques. L’envoi des prélèvements sanguins à Salt Lake City, un coût annoncé exorbitant et surtout une technique d’identification de mutation défaillante ont conduit la France et plusieurs sociétés de génétique en Europe à s’opposer aux brevets européens. En Europe, les brevets BRCA1 ont été complètement ou partiellement révoqués en 2004. En appel, en 2008, l’un des brevets portant sur le diagnostic de prédisposition a été partiellement restauré. Aux États-Unis, Myriad Genetics exerce depuis 1995 son droit de monopole, perçu par les femmes et par un grand nombre d’associations de citoyens et de professionnels de santé comme un abus de droit, avec pour effets le blocage de l’amélioration de la qualité des tests et de la diminution de leur coût et le ralentissement de la recherche. À la suite d’une plainte commune de ces associations contre Myriad Genetics, l’université de l’Utah et l’US Patent Trademark Office (USPTO), le juge fédéral Robert Sweet a conclu en mars 2010 que les gènes BRCA1 et BRCA2 étaient non brevetables. Il s’appuyait sur l’article 101 du Code des brevets des États-Unis, qui exclut les produits naturels du champ des brevets. Il a de plus considéré que la comparaison de séquences d’ADN n’était pas brevetable, car il s’agit d’un acte intellectuel, exclu par définition du champ des brevets. La décision du juge Sweet a été un coup de tonnerre dans le monde de la propriété intellectuelle et des biotechnologies. En juillet 2011, la cour d’appel est revenue sur les conclusions du juge Sweet et a déclaré qu’un fragment d’ADN isolé était brevetable, car n’existant pas dans la nature. Cette décision ne remettait ainsi pas en question les brevets déjà accordés sur plus de 2 500 fragments d’ADN. En revanche, la cour d’appel n’a pas retenu comme brevetable la comparaison de séquences, et par là la réalisation d’un test génétique. Un laboratoire pourrait ainsi réaliser un test après avoir obtenu une licence de dépendance du breveté pour l’utilisation d’une séquence. On peut regretter que la cour d’appel n’ait pas retenu, comme le juge Sweet, la non-brevetabilité des gènes, combat aujourd’hui perdu. Ce qui importe est que, en ne retenant pas la comparaison de gènes comme brevetable, elle a opéré une brèche sérieuse sur le droit de monopole, brèche indispensable au moment où se développent les applications diagnostiques du séquençage très haut débit et par là l’analyse chez une personne donnée d’un grand nombre de gènes voire de l’ensemble de son génome.