Le savoir expérientiel des malades et anciens malades
A priori, rien de plus naturel qu’un(e) patient(e), ancien(ne) patient(e) ou proche d’un(e) malade du cancer participe à un comité d’éthique. Les patients ou les proches, au fil des ans, ont appris de leur maladie, même si ce savoir est avant tout expérientiel : celui du ressenti, depuis les messages du corps lors des traitements et de leurs effets, les émotions vécues lors du diagnostic, l’adaptation aux lieux, aux profils des médecins jusqu’aux transformations familiales et professionnelles liées à la maladie.
Ce savoir-faire peut ouvrir des perspectives nouvelles, notamment dans la recherche du principe de justice qui n’est pas réservé aux seuls spécialistes. J’en veux pour preuve l’accompagnement d’un patient dans des situations où la décision à prendre n’est pas seulement technique mais morale.
Comme ancienne patiente du cancer du sein, j’avais vécu l’impression d’un mur invisible qui sépare les bien-portants et les malades et été confrontée aux profils variés des médecins, à leurs manières d’incarner l’autorité et le savoir, et j’ai dû continuellement m’adapter. J’avais pu mesurer les écarts entre le discours médical, factuel, objectif et la réception des messages, chez moi et chez les groupes de patientes, freinée par le choc du diagnostic. C’est cet écart entre deux mondes, celui du corps médical et celui des patients qu’il est nécessaire de réduire, pour éviter l’effet pathogène de la transmission de l’information.
L’expérience acquise, sociale et médicale m’incitait à élargir ma connaissance des logiques médicales pour la partager ensuite avec les patientes et, réciproquement, exprimer leurs points de vue, et être leur intercesseur. Même si toutes les histoires sont singulières, on pense que l’expérience peut se transmettre à d’autres malades. C’est un rôle de passeur entre points de vue, de « go-between » entre médecins et patients, entre théorie et pratique, un rôle de traduction d’un langage scientifique dans un autre plus familier et de transaction entre deux mondes, celui de la science et celui de la vie quotidienne. Par exemple, quand une patiente rate un rendez-vous de chimiothérapie, plutôt que de juger son absence comme une négligence, faire l’hypothèse que cette mère de famille aux moyens modestes n’a pas trouvé de solution pour faire garder ses enfants permet de lui rendre justice. Ou bien devant un refus de thérapie chez une personne âgée, prendre en compte l’ultime liberté en fin de vie, c’est restaurer la personne dans la maladie et l’entendre comme sujet de sa volonté.
L’impact du collège des patients ou des proches de malade au sein du Comité éthique et cancer ne doit pas être modeste, il est complémentaire de celui des personnes qualifiées qui vont répondre à la saisine en intégrant des éléments de compréhension des conditions psychologiques, juridiques et sociales, dans lesquelles les diagnostics, traitements et suivis sont vécus. En effet, tout n’est pas médical dans un geste médical, la parole d’expérience a toute sa place face aux discours de la science.