Avis n°12

du 30 novembre 2010
Est-il possible d’administrer un traitement à un enfant contre l’avis de la mère ? En cas d’opposition, quelles solutions sont envisageables ?

Il a été proposé à la mère d’une petite Polynésienne âgée de 7 ans atteinte d’un sarcome d’Ewing, aux caractéristiques rares, une chimiothérapie intensive associée à une radiothérapie en métropole, cela en complément d’une chirurgie initiale faite localement. Après avoir consenti dans un premier temps, la mère refuse ce traitement, qui est associé à une probabilité de guérison de 75 à 80 %. Ce traitement ne peut être réalisé en Polynésie, les équipes locales déclarant ne pas disposer des compétences nécessaires pour en assurer l’administration et le suivi chez un enfant.
La mère n’accepte qu’un traitement réalisé en Polynésie, qui devra être suivi d’une radiothérapie à effectuer en métropole. Ce traitement, plus ancien et plus facilement réalisable, est clairement annoncé comme moins efficace (65 à 70 % de probabilité de guérison) que celui qu’elle refuse. L’inquiétude des médecins est d’autant plus importante que le risque est grand aussi que, une fois de retour en Polynésie, la mère ne fasse pas faire la radiothérapie proposée. En l’absence de ce traitement, le risque de récidive est quasiment inéluctable, avec des possibilités thérapeutiques très limitées et un mauvais pronostic.
Les raisons données par cette mère à son opposition ont été qu’elle pensait que sa fille était guérie et que le traitement risquait de la rendre malade. Il n’a pas été possible de mettre en évidence des aspects psychiatriques ou culturels. La relation entre cette mère et sa fille est apparue également tout à fait normale. Le père de l’enfant est en revanche mis à l’écart par la mère. Après de nombreuses tentatives, celui-ci a finalement été joint par l’équipe médicale et a donné son accord pour le premier traitement proposé. Mais cela ne change rien à l’opposition de la mère.
L’équipe médicale sollicite l’avis du comité éthique et cancer pour savoir si, dans ce contexte, il est possible d’administrer le premier traitement proposé contre l’avis de la mère. Elle demande s’il serait judicieux d’engager un signalement au procureur de la République ou s’il est envisageable de retirer transitoirement l’enfant à l’autorité de ses parents.


 

Le Comité éthique et cancer comprend le désarroi de l’équipe médicale concernée compte tenu des progrès importants obtenus dans le traitement des cancers pédiatriques qui permettent aujourd’hui de parvenir à guérir une majorité d’enfants malades. Cette équipe est exposée à une forme d’impuissance puisqu’elle a le sentiment de ne pas pouvoir donner toutes ses chances à cette petite fille en raison de la position de la mère, position dont les motivations ne sont, de surcroît, pas clairement formulées ni compréhensibles. Cette situation se confronte aux limites de la médecine, non pas tant sur le plan technique, scientifique et organisationnel – un traitement moins long et moins éprouvant, qui pourrait se faire dans l’hôpital de proximité, aurait peut-être été accepté par cette mère –, mais sur le plan relationnel, ce qui peut être effectivement déstabilisant.

QUID DES MOTIVATIONS DE LA MÈRE ?

L’équipe médicale a, semble-t-il, suivi la démarche apparaissant la plus adéquate : information approfondie de la mère par différents interlocuteurs, exploration des motivations de celle-ci et de la relation qu’elle entretient avec sa fille, efforts pour joindre le père resté en Polynésie, – dont la mère ne donnait pas les coordonnées et qu’elle décrivait comme incapable de prendre une décision, ce qui s’est confirmé –, puis proposition au final d’une alternative thérapeutique qui puisse être compatible avec la décision parentale même si elle est associée à de moindres chances de réussite. Cette mère a accepté, sans réticence le plus souvent, les entretiens et discussions que lui proposait le psychologue de l’équipe, mais ceux-ci sont restés très superficiels et il n’a été possible ni d’établir un diagnostic psychopathologique ni de comprendre des motivations éventuellement en rapport à son histoire personnelle ou familiale. Il est possible que des aspects culturels ou familiaux aient constitué des obstacles à la bonne compréhension et à une bonne acceptation par la mère de l’information qui lui a été délivrée, perturbant ainsi l’entendement des motivations de sa position par les différents professionnels de santé qui sont intervenus. Il importe de souligner qu’il n’y avait aucun obstacle linguistique ni intellectuel à sa compréhension. Ces obstacles sont très difficiles à repérer, à comprendre et à lever, compte tenu du contexte d’éloignement géographique entre la région d’origine de cette femme et de sa fille, et du lieu d’exercice de l’équipe médicale. Cependant, la question des éventuels problèmes culturels a été posée au médecin de Polynésie qui l’avait adressée en métropole, et avec lequel l’équipe de l’IGR est restée en contact permanent. Il ne comprenait pas plus les raisons possibles de l’attitude de la mère, et n’en voyait pas d’équivalent dans sa pratique habituelle. De même, la rencontre de la mère avec un prêtre polynésien – elle a avancé, un moment, des arguments d’ordre religieux – n’a pas modifié sa position, et n’a pas éclairci ses motivations. L’équipe, qui a consacré beaucoup de temps à cette mère et à sa fille, n’a pas eu les moyens d’aller plus loin dans la recherche d’éventuelles raisons culturelles, faute d’interlocuteurs compétents connus.

NE PAS FRAGILISER LE LIEN MÈRE/FILLE

Cela étant, il est bien évidemment de l’intérêt de la jeune patiente de recevoir le meilleur traitement possible. Mais il est tout aussi dans son intérêt de respecter la décision d’une mère proche de son enfant et de maintenir le lien avec cette mère et sa famille. À ce titre, l’hypothèse d’un signalement au procureur de la République ne paraît pas souhaitable et risquerait d’avoir un effet inverse à celui escompté. En effet, un tel signalement pourrait conduire cette femme à cacher son enfant, ôtant à celle-ci toute possibilité de traitement, fût-il associé à de moindres chances de réussite. De surcroît, la démarche du signalement s’applique aux situations de maltraitance. Il apparaît difficile de considérer que c’est le cas ici.

CONCLUSION

Au final, le comité considère que l’équipe médicale se doit d’accepter la décision parentale, même si celle-ci n’apparaît pas la plus judicieuse, voire dangereuse pour l’enfant sur le plan strictement médical, et quand bien même cette acceptation n’est pas satisfaisante. Ce positionnement est concordant avec la législation. Ainsi, l’obligation d’information du patient ou, dans le cas d’un mineur, de ses parents par les professionnels de santé sur les différentes alternatives thérapeutiques envisageables (article L. 1111-2 du Code de la santé publique) est assortie d’une obligation de respect de la décision de la personne (article L. 1111-4 du Code de la santé publique). Dans la situation présente, le choix de la mère doit être respecté. Néanmoins, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans son avis n° 87 d’avril 20051, a indiqué que le médecin peut aller contre la décision des parents, quand elle met en danger la vie de l’enfant (par exemple, le refus d’une césarienne absolument nécessaire). Ici, l’équipe n’a pas trouvé les voies permettant de modifier les choix de la mère, malgré de nombreuses tentatives.

Notes

  • 1. CCNE, Refus de traitement et autonomie de la personne, avis n° 87 du 14 avril 2005.