Avis n°14

du 14 février 2011
De l’inéthiquité de l’annonce d’un pronostic de délai de décès

En mai 2010, l’oncologue d’un centre hospitalier annonce très froidement au père de famille dont il assure la prise en charge qu’« il n’y a plus rien à faire », ne maintenant aucun espoir. Ce même oncologue émet quelques jours plus tard un pronostic de décès sous quinze jours au maximum. Cette “prévision” est uniquement donnée à la conjointe du patient, qui n’avait formulé aucune demande de cet ordre et s’est trouvée brutalement en possession d’une information terrible qu’elle ne pouvait dévoiler à son compagnon déjà terriblement fragilisé par l’annonce de l’arrêt définitif de la chimiothérapie. La mère, les enfants et les familles respectives ont vu leur relation avec le malade compromise par un travail de deuil engagé trop prématurément, deux mois s’étant en réalité écoulés avant le décès de ce père de famille. Les vies ainsi que les engagements personnels et professionnels se sont organisés autour de « ces quinze jours au maximum ».
Tous, y compris le patient, connaissaient la gravité de la maladie et savaient que l’issue fatale était proche et inéluctable. Cependant, sur quelles bases médicales ce pronostic de quinze jours au maximum s’appuie-t-il ? Ne doit-on pas y voir l’expression d’un sentiment de toute-puissance d’un médecin, en rupture avec toute éthique médicale ? Un médecin oncologue ne doit-il pas savoir pondérer ses dires, faire preuve d’humanité envers ses patients et leurs proches ?


 

La situation décrite ici témoigne de plusieurs manquements graves à l’éthique médicale et aux recommandations de bonnes pratiques. Tout d’abord, le comité souligne qu’un médecin ne peut en aucun cas dire à un patient qu’« il n’y a plus rien à faire ». Toute prise en charge d’une personne malade doit s’inscrire dans une continuité, les soins proposés étant progressivement adaptés à l’évolution de l’état de santé du patient. La prise en charge peut ainsi avoir un objectif curatif, symptomatique ou palliatif selon le stade de la maladie. Elle ne peut être considérée comme devant s’arrêter, et surtout être présentée comme telle au malade, dès lors qu’il n’y a plus d’espoir de guérison. Dans ce cas de figure, d’autres soins que curatifs peuvent et doivent être proposés, visant à permettre d’obtenir la meilleure qualité de vie possible au patient pour le temps qu’il lui reste à vivre.

Une parole violente et écrasante

Par ailleurs, le comité considère que toute annonce d’un pronostic de délai de décès est inacceptable. D’une part, un tel pronostic ne repose sur aucune base scientifique, pas plus que sur l’expérience clinique. Pas plus que quiconque, les médecins ne maîtrisent le temps. Ils ne sont donc pas en mesure de pouvoir affirmer avec certitude quand précisément une personne va mourir, même lorsque la fin de vie de cette personne leur paraît irrémédiable et proche1. D’autre part, toute annonce d’un pronostic de délai  de décès constitue, par la certitude qu’elle énonce, une parole violente et écrasante. Celui qui reçoit cette parole ne peut que soit l’accepter, et par là s’entendre dire sa propre condamnation à mort, ou la rejeter et être conduit à une rupture de la confiance avec son médecin. Dans les deux cas, le pronostic annoncé empêche désormais tout dialogue entre l’un et l’autre, et constitue de fait une rupture dans la prise en charge, précisément à un moment où le patient a plus que jamais besoin d’être soutenu et accompagné. Cette parole toute-puissante entrave tout autant le dialogue entre le médecin et les proches. Elle apparaît donc à tout point de vue préjudiciable.

Une situation délétère                         

Dans le cas présent, l’annonce du pronostic de décès a été communiquée uniquement aux proches et pas au patient, ce qui constitue une autre forme de manquement à l’éthique médicale ainsi qu’aux dispositions législatives définies notamment par la loi du 2 mars 2002 relative aux droits des malades ; cette loi reconnaît en effet le droit à l’information de toute personne malade2 (sauf volonté exprimée par celle-ci de ne pas être tenue informée). Si l’information des proches est bel et bien prévue par cette même loi en cas de diagnostic ou de pronostic grave, cette information ne peut être délivrée qu’après accord préalable du patient3. Sur le plan éthique, les proches de ce patient se sont retrouvés dépositaires d’une information particulièrement lourde qui, inévitablement – parce que la personne malade n’en avait pas connaissance, et même si elle s’en doutait ou en avait l’intuition –, a “faussé” par les non-dits engendrés leur relation avec cette dernière. La situation a donc été particulièrement délétère pour la qualité de la vie relationnelle entre le malade et ses proches à un moment où, plus que jamais sans doute, cette vie relationnelle était primordiale. Enfin, le fait de ne pas avoir dit au patient ce qui se profilait au regard de l’évolution de sa maladie a privé ce dernier de son autonomie, ne lui permettant pas de se préparer à l’épreuve qui l’attendait et de prendre d’éventuelles décisions ou d’exprimer les souhaits qui lui auraient paru nécessaires. Cela revient en quelque sorte à lui avoir “volé” le temps qui lui restait.

Conclusions

Pour le comité, la question n’est pas de savoir s’il faut dire ou ne pas dire, mais bien de savoir comment dire, et cela commence dès l’annonce du diagnostic et du traitement. Le dialogue entre le médecin et le patient doit conduire à l’énoncé de l’information juste et précise sur sa situation médicale mais de façon adaptée et respectueuse. Il s’agit de permettre au patient de parvenir, à son rythme et selon ses propres modalités, à la connaissance de la situation dans laquelle il se trouve et de lui offrir l’accompagnement et les ressources nécessaires pour s’y préparer et s’y adapter. Il convient ensuite de demander au malade son accord pour que l’information soit communiquée à ses proches afin que ceux-ci soient en mesure de l’accompagner comme il se doit.

Notes

  • 1. D’une manière générale, il serait préférable que les professionnels de santé évitent d’exprimer à leurs patients des informations sous forme de statistiques issues d’études épidémiologiques ou d’essais cliniques. Les données statistiques sont des probabilités établies à l’échelle d’une population et ne s’appliquent pas à l’échelle individuelle ; pour un patient, qu’il guérisse ou qu’il décède, c’est dans tous les cas du “100 %”.
  • 2. Article L. 1111-2 du Code de la santé publique, modifié par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 : toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, les traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf s’il est impossible de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser. Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel. La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission.
  • 3. Article L. 1110-4 créé par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 : en cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part.